L'Autorité de la concurrence, saisie pour rendre un avis sur l'impact des alliances de centrales d'achats dans la grande distribution, a identifié mercredi plusieurs risques d'altération de la concurrence et invité les distributeurs concernés (Auchan-Système U, Intermarché-Casino, Carrefour-Cora) à ajuster leurs pratiques.
Depuis deux ans, les distributeurs français ont entamé une guerre des prix féroce pour tenter de s'attirer les faveurs de consommateurs au pouvoir d'achat contraint.
C'est dans ce cadre qu'ils ont noué des alliances pour l'achat de produits de grandes marques auprès de leurs fournisseurs, entraînant la constitution d'une "puissance d'achat significative", relève l'Autorité. Carrefour (PARIS:CARR) et Cora ont conclu un accord le 22 décembre quelques mois seulement après Auchan/Système U et Casino/Intermarché.
Dans son avis, le gendarme de la concurrence fait état de risques en aval et en amont de la chaîne de distribution. En aval, des échanges d'informations entre deux distributeurs concurrents pourraient se produire dans le cadre des négociations qui ont lieu chaque année entre distributeurs et fournisseurs pour fixer le prix d'achat des produits.
De tels échanges pourraient selon lui "lisser vers le bas les contreparties octroyées aux fournisseurs", comme les promotions.
Selon Matthias Berahya-Lazarus, expert de la distribution et patron de la société de catalogues numériques Bonial, "l'Autorité part du principe que si vous achetez de la même façon, vous pourriez vendre de la même façon, notamment des promotions, mais ces dernières sont très dynamiques toute l'année". Et d'ajouter que "comme les accords d'achat ne concernent que quelques centaines de gros fournisseurs sur des milliers, il y a de la marge pour tous les autres produits, notamment les produits frais".
Les accords à l'achat risquent aussi, selon l'Autorité, d'entraîner une homogénéité des prix d'achat des principaux produits de grande consommation. Un effet qui devrait cependant être contrebalancé par l'alignement des prix à la baisse, conséquence de la concentration des acheteurs.
Les accords de coopération pourraient enfin réduire l'incitation des partenaires à se concurrencer sur l'affiliation de nouveaux magasins, figeant ainsi une partie du parc des magasins.
- Limitation de l'offre -
En amont de l'approvisionnement, l'Autorité pointe les risques de limitation de l'offre, de réduction de la qualité ou d'incitation de certains fournisseurs à innover du fait de la concentration de la puissance d'achat des distributeurs.
Au sujet du risque d'abus, par les distributeurs, de la dépendance économique des fournisseurs à leur encontre, l'autre volet susceptible, avec les ententes, de nuire au fonctionnement concurrentiel du marché, l'Autorité note que de "nombreux cas de déréférencements de produits" lui ont été signalés. Ces risques sont toutefois limités par le fait qu'il sera difficile de déréférencer des marques connues.
Dans son avis, l'Autorité invite les distributeurs à choisir leurs fournisseurs selon des critères "objectifs et non-discriminatoires" compte tenu des "incidences que leur choix pourrait avoir sur le marché de l'approvisionnement".
Elle souligne aussi "l'importance de renforcer la concurrence dans le secteur" en assouplissant les conditions d'implantation des magasins et en "limitant la durée des contrats d'affiliation entre les magasins et leur tête de réseau".
Le gendarme de la concurrence préconise en outre d'instaurer, pour les distributeurs, une "obligation légale d'information préalable à tout nouvel accord de rapprochement portant sur une partie significative du marché afin de lui permettre d'assurer son rôle de veille de manière efficace".
Il propose enfin de modifier le dispositif prévu pour détecter les abus de dépendance économique afin de le rendre plus efficace.
Pour Matthias Berahya-Lazarus, l'Autorité "avertit sur les distorsions possibles de concurrence mais n'en constate pas et n'agit pas". "Tout le monde est prudent car on sait qu'elle veille et qu'elle a déjà puni des industriels comme récemment avec le 'cartel des yaourts'", analyse-t-il.
Système U, Intermarché et Casino n'ont pas souhaité commenter cet avis. Le groupe Auchan a qualifié de son côté les remarques de l'Autorité de "très générales", ajoutant qu'il "entendait bien les respecter".
Contactés, Carrefour et Cora n'ont pas réagi dans l'immédiat.
A la suite des alliances de centrales d'achat, Casino/Intermarché représentent désormais 25,9% de part de marché en France, Carrefour/Cora 25,1%, Auchan/Système U 21,6% et Leclerc 19,9%, soit plus de 90% de parts de marché pour les quatre grands acheteurs.
L'Autorité avait été saisie à l'automne par le ministre de l'Économie Emmanuel Macron et par la Commission des affaires économiques du Sénat.