par Blandine Henault
PARIS (Reuters) - Les tensions commerciales entre la Chine et les Etats-Unis ont fait un retour fracassant sur les marchés financiers, la mise en oeuvre de nouveaux droits de douane américains sur des produits chinois ayant remis en cause le scénario, largement intégré par les investisseurs, d'un accord prochain entre les deux puissances économiques.
Le tweet rageur de Donald Trump dimanche dernier, indiquant que les tarifs douaniers seraient relevés de 10% à 25% sur l'équivalent de 200 milliards de dollars d'importations chinoises dès ce vendredi, a pris par surprise les observateurs. Washington a expliqué qu'il s'agissait d'une réaction à la marche arrière effectuée par la Chine sur certains de ses engagements dans les négociations.
Les marchés ont surtout retenu le fait qu'un accord, qui était espéré dans le courant du mois, était finalement encore loin d'être conclu. Le regain d'aversion au risque qui s'en est suivi n'a pas été surprenant.
Sur la semaine, les Bourses chinoises ont perdu 4,5% et l'indice paneuropéen Stoxx 600 s'acheminait vers une baisse de plus de 2,5%, similaire à celle du S&P 500. Parallèlement, le rendement des Treasuries à dix ans est retombé de huit points de base pour revenir à 2,45% et le yen a touché un plus haut depuis début février face au dollar.
La question est désormais de savoir si la crispation des relations sino-américaines est de nature à remettre en cause la signature d'un accord ou seulement à en reporter la date.
Les délégations américaine et chinoise poursuivaient vendredi leurs négociations entamées la veille à Washington, et la présence du vice-Premier ministre chinois Liu He a été perçue comme un geste de bonne volonté de la part de la Chine.
La poursuite de ces discussions laisse espérer aux investisseurs qu'un accord sera finalement trouvé à plus ou moins court terme.
"La meilleure raison d'attendre un accord est qu'à la fois Trump et Xi ont reconnu le ralentissement significatif des deux économies observé au quatrième trimestre et, tout aussi important, la correction de marché associée avec le ralentissement", observe David Lafferty, responsable de la stratégie de marché de Natixis (PA:CNAT) Investment Managers.
D'autres observateurs soulignent que la correction des marchés actions observée cette semaine est somme toute restée limitée.
Le S&P a perdu seulement 2,5% depuis le tweet de Trump, "une réaction sans commune mesure avec ce à quoi on peut s'attendre si les négociations échouent", estime ainsi Stéphane Déo, stratège chez LBPAM. "Bref, le marché fait le pari que tout ceci n'est très probablement que du bruit".
"LES RISQUES ONT AUGMENTÉ"
Certains voient même dans le récent mouvement de baisse des Bourses un point d'entrée intéressant.
"Cette correction va créer des opportunités d'achat mais il ne faut pas se précipiter", relève Vincent Guenzi, directeur des investissements chez Cholet Dupont.
"Les négociations à haut niveau vont se poursuivre à Washington mais il est peu probable qu'elles se concluent cette semaine. Il nous semble que le repli des actions n'est pas assez important pour nous protéger des risques de déception supplémentaire. Il pourrait plutôt atteindre entre 5% à 7%", estime le stratège.
Pour les analystes de Bank of America-Merrill Lynch (BAML), les récents développements sur le commerce entre les Etats-Unis et la Chine ne sont toutefois pas à prendre à la légère.
"Les tensions commerciales sont une raison clé de la faiblesse des indicateurs en dehors des Etats-Unis, et particulièrement en zone euro et en Chine. De nouvelles mesures de la part des Etats-Unis et des probables représailles de la Chine constitueraient à notre avis une véritable guerre commerciale, avec des implications très négatives pour l'économie mondiale", s'inquiètent-ils.
"Nous restons optimistes sur le fait que les deux parties réaliseront dans les jours à venir qu'elles ont intérêt à un compromis, mais les risques ont augmenté. En outre, les négociations commerciales entre les Etats-Unis et l'Europe n'ont pas encore commencé et restent un risque pour l'économie européenne et les marchés plus largement", ajoutent les analystes de BAML.
Dans ce contexte, il est probable que le dossier du commerce sino-américain restera le point d'attention des marchés financiers dans les jours à venir, même si plusieurs statistiques importantes sont attendues.
En Chine, les chiffres de la production industrielle et des ventes au détail pour avril seront publiés mercredi, le même jour que l'estimation rapide du PIB de la zone euro pour le premier trimestre et les ventes au détail aux Etats-Unis.
Malgré tout, la conjoncture mondiale, comme les marchés financiers, semblent suspendus à l'issue des négociations commerciales entre les Etats-Unis et la Chine. Il n'est pas sûr toutefois que même l'annonce d'un accord commercial soit si positive pour l'environnement économique et financier.
Selon David Lafferty, chez Natixis IM, les allers-retours et menaces incessantes dans les relations entre les Etats-Unis et la Chine constituent ainsi une "nouvelle normalité".
"Menacer de droits de douane pour amener la Chine à la table des négociations. Menacer à nouveau pour faire avancer les négociations - c'est l'étape où nous en sommes actuellement. Et finalement si un accord est éventuellement trouvé, continuer de menacer de tarifs douaniers pour faire respecter l'accord", décrypte-t-il.
"C'est pourquoi les investisseurs ne devraient tirer qu'un modeste confort en cas d'accord éventuel", prévient-il. "Même si un accord est trouvé, nous vivrons toujours dans un monde où la détente commerciale peut être instantanément brisée par un tweet hargneux".
(Édité par Patrick Vignal)