par Rania El Gamal
DUBAI (Reuters) - L'Arabie saoudite a retenu la leçon des années 1980 quand elle avait fortement réduit sa production, en vain, pour tenter d'enrayer la chute des cours du pétrole.
La plupart des traders d'aujourd'hui n'ont pas connu l'effondrement des cours du début des années 1980, quand le marché moderne en était à ses balbutiements. Mais cette période revient de plus en plus dans les conversations et les analystes y voient l'explication de la politique actuelle de l'Arabie saoudite visant à préserver coûte que coûte ses parts de marché.
La glissade de près de 25% des cours du brut depuis leurs niveaux de juin, à environ 90 dollars le baril, reste modeste au regard de leur plongeon d'il y a une trentaine d'années quand ils étaient passés de 35 dollars à moins de 10.
A l'époque, les chocs pétroliers de 1973 et 1979 -consécutifs à l'embargo de l'Opep puis à la Révolution islamique en Iran- avaient déprimé la demande mondiale au moment même où l'offre augmentait avec la découverte de gisements en mer du Nord.
Face à cette hausse de la production sur laquelle l'Opep n'avait pas prise, l'Arabie saoudite s'était lancée dans une stratégie de défense des prix -qui à l'époque étaient fixés davantage par les exportateurs que par le jeune marché des futures.
Le royaume avait alors réduit sa production de près des deux tiers, la ramenant de plus de 10 millions de barils par jour (bpj) en 1980 à moins de 2,5 millions en 1985-1986.
L'ARABIE SAOUDITE N'AVAIT PAS ÉTÉ SUIVIE
Mais les autres producteurs ne l'avaient pas suivi, qu'il s'agisse des partenaires de l'Organisation des pays exportateurs de pétrole ou de nouvelles puissances pétrolières comme le Royaume-Uni et la Norvège. Les prix bas ont ainsi duré des années, compromettant gravement les finances publiques de Ryad qui a affiché un déficit budgétaire 16 années de suite.
L'Arabie saoudite a finalement changé de cap en 1985 et, rétrospectivement, il apparaît que sa décision d'augmenter la production et de baisser les prix a certes porté un coup au marché mais ensuite ouvert la voie à sa reprise progressive.
"Leur erreur a été de s'obstiner à baisser leur production pour tenter de relancer les prix alors que ceux-ci continuaient de baisser", analyse Yasser Elguindi, analyste chez Medley Global Advisors.
"Au lieu de cela, ils auraient dû défendre leurs parts de marché en comptant que la baisse des prix pénaliserait les producteurs dont les coûts étaient élevés, et c'est ce qu'ils font maintenant", ajoute-t-il.
L'Arabie a laissé clairement entendre la semaine dernière qu'elle était disposée à tolérer une période de prix bas -peut-être jusqu'à 80 dollars le baril- afin de préserver ses parts de marché. Ces informations ont fait tomber le baril de Brent sous les 88 dollars lundi, au plus bas depuis quatre ans.
Selon une source pétrolière, le premier exportateur mondial ne cherche pas à pousser les prix à la baisse mais est disposé à laisser le marché trouver un plancher et tolérer des prix bas jusqu'à ce que d'autres pays de l'Opep se décident à agir.
Le message est "ne vous attendez pas à qu'on endosse la responsabilité de la gestion du marché", résume Sadad al-Husseini, un ancien haut responsable de la compagnie nationale Saudi Aramco.
DÉSUNION
Le parallèle avec les années 1980 est riche d'enseignements.
A l'époque, la baisse de la demande provenait des consommateurs américains et européens, tandis que la production augmentait avec la montée en puissance des gisements de la mer du Nord. Aujourd'hui, le marché est confronté au ralentissement de la croissance en Asie et au bond de la production d'huile de schiste aux Etats-Unis.
Le résultat est le même: un marché pétrolier qui risque d'être inondé par une offre surabondante, comme l'Opep et Ryad n'en avaient plus vu depuis le début des années 2000, avant le grand bond en avant de la demande chinoise qui a soutenu les cours du brut dix ans durant.
Alors que le Venezuela est devenu le premier membre de l'Opep à réclamer une réunion d'urgence pour défendre le niveau des 100 dollars, le Koweït, allié de longue date de l'Arabie saoudite, a jugé peu probable une baisse de la production du cartel pour soutenir les prix.
La désunion de l'Opep est un autre point commun avec les années 1980. A l'époque, Ryad avait compris qu'il ne fallait pas compter sur ses partenaires de l'Opep, dont beaucoup avaient une production supérieure au quota qui leur était alloué, laissant l'Arabie saoudite en subir les conséquences.
En 1985 seulement, le royaume et l'Opep ont décidé de reprendre leurs parts de marché et ont pour cela laissé filer les cours sous la barre des 10 dollars. A partir de là, il a fallu 16 ans pour que les prix se rétablissent complètement.
"Les Saoudiens ont décidé qu'ils en avaient assez, ils ont relancé leur production et les prix ont plongé", se rappelle Gary Ross, directeur général de PIRA Energy Group, qui suit le marché depuis les années 1970.
Cette fois, Ryad semble avoir adopté cette position dès le départ, dans l'idée de protéger ses intérêts sur le moyen terme.
Le royaume a, il est vrai, de quoi venir avec ses réserves de 266 milliards de barils de pétrole brut.
(Véronique Tison pour le service français, édité par Benoît Van Overstraeten)