Comme beaucoup d'Américains, Mike, Dennis, Brian et Derek rêvaient de visiter Paris, mais pas forcément à la manière de touristes ordinaires. Ils ont donc fait appel aux greeters, ces habitants qui font découvrir aux voyageurs une capitale hors des sentiers battus.
En ce gris matin d'août, les quatre Texans ont rendez-vous avec Françoise, une retraitée de 62 ans. Au programme: deux heures trente de balade dans Saint-Germain-des-Prés, où la Parisienne vit depuis quarante ans.
Ne s'attardant guère sur les classiques comme Saint-Sulpice ou le Café de Flore, Françoise les emmène dans des petites rues moins fréquentées, à la découverte des trésors méconnus du quartier. Comme un immeuble anonyme où vécurent Baudelaire et Picasso.
Entre deux anecdotes, elle répond aux questions des quatre compères, très curieux du mode de vie à la française. Assurance-maladie, impôts, politique, tout y passe.
"Avec Françoise, on a certainement plus d'interactions et de contacts directs que dans une visite guidée" traditionnelle, explique Derek, ravi.
Comme lui, de plus en plus de voyageurs, lassés du tourisme de masse et des visites impersonnelles en groupe, veulent découvrir les pays qu'ils visitent autrement, au contact de ses habitants.
"Aujourd'hui, les touristes ne veulent plus voyager comme le faisaient leurs parents, sur des circuits organisés au pas de course, où tout le monde voit la même chose. Quand ils viennent à Paris, ils ne souhaitent plus seulement visiter Montmartre ou Notre-Dame, mais aussi rencontrer des habitants, partager leur quotidien", explique Christian Ragil, président de la Fédération France Greeters.
Le concept des greeters est né en 1992 à New York. D'abord confidentielles, ces visites d'un genre nouveau se développent au gré du bouche-à-oreille, d'abord aux Etats-Unis, puis dans le reste du monde.
En France, les premiers greeters apparaissent en 2006, à Paris et à Nantes. Aujourd'hui, l'Hexagone rassemble 1.500 greeters, dans plus de 85 villes.
Les visites sont toutes gratuites, limitées à 6 personnes et menées par des bénévoles de tous horizons, dont beaucoup de retraités.
- 'Etonnez-moi !' -
A Paris, où 6.000 visites avec des greeters ont été organisées l'an dernier, le concept séduit de plus en plus. "On a en moyenne une croissance de 10 à 15% chaque année", explique Jean-Claude Simhon, président de l'association des greeters parisiens.
Greeter sur son temps libre, cet homme, qui travaille dans le secteur bancaire, fait visiter le 18e arrondissement aux voyageurs. "A la différence d'un guide professionnel, je ne suis pas là pour les emmener au Sacré-Coeur ou leur donner un cours d'architecture, mais pour leur faire découvrir mon quartier, des anecdotes, des choses insolites", explique-t-il.
"C'est d'ailleurs ça qui les intéresse le plus: ils me posent davantage de questions sur ma vie quotidienne que sur l'histoire religieuse", souligne ce Montmartrois.
Parmi les interrogations récurrentes: "comment faites-vous pour manger des cuisses de grenouilles ?", "c'est vraiment gratuit l'hôpital chez vous ?" ou bien "comment choisissez-vous votre boulanger ?" et "où peut-on déguster de bons fromages ?".
"C'est un peu comme si on faisait découvrir notre vie à des amis en visite", explique-t-il.
L'essentiel pour un greeter est avant tout d'offrir une expérience personnalisée aux voyageurs, et de pouvoir s'adapter à leurs demandes, explique M. Ragil.
"Une fois, un touriste allemand, déjà venu plusieurs fois à Paris, nous a simplement demandé: "Etonnez-moi! ". On lui a organisé une balade à Aubervilliers, pour lui montrer les anciennes verreries où s'étaient autrefois établis des immigrés prussiens. Il était ravi de cette découverte imprévue", raconte-t-il.
Pour Françoise, l'imprévu viendra de la pluie. Mais qu'importe. Elle et ses visiteurs se réfugieront dans la mairie du 6e arrondissement. L'occasion pour elle de leur montrer la salle des mariages et d'expliquer comment se déroule une cérémonie à la française.
"Mon but c'est de partager, de discuter avec eux", explique-t-elle.
Pour beaucoup de greeters, l'échange se poursuit parfois en dehors des balades. "Il arrive qu'on devienne amis avec certains visiteurs. J'ai déjà été invité plusieurs fois aux Etats-Unis ou en Australie", explique M. Simhon.
Françoise finira sa matinée sur une invitation à déjeuner dans un restaurant avec ses compagnons américains.