Invitée à Davos pour la deuxième année consécutive, Greta Thunberg s’est exprimée peu avant le président américain lors d’une table ronde avec une session au titre sans équivoque : « Comment éviter l’apocalypse climatique ». Au-delà des actions de sensibilisation, des éditions successives de la Conférence internationale sur le climat, toutes ont en commun de répondre à un certain vide institutionnel et à l’impunité ressentie par la société civile lorsqu’il s’agit de la défense de l’environnement. La justice peut-elle servir la cause de l’environnement ? Et si ces anxiétés pouvaient trouver un exécutoire dans une justice environnementale à l’échelle mondiale ? Pourrait-on par, exemple, imaginer des poursuites au niveau international pour des crimes portés à l’environnement ?
Utopique ? Nous faisons le point avec Charles Poncelet, avocat spécialisé en droit de l’environnement au cabinet Liedekerke.
Silvia Steisel : La mise en place d’une justice environnementale au niveau international serait-elle un aboutissement légitime face aux revendications civiles ? Par exemple, au travers de la reconnaissance d’un crime international contre la planète ? Cela aiderait-il à cadrer et apaiser les débats ?
Charles Poncelet : On voit aujourd’hui différentes initiatives émerger dont le but est de renforcer l’arsenal juridique international pour sanctionner les atteintes massives à l’environnement. Les discussions sur la reconnaissance de l’écocide (l’écocide consiste en la destruction délibérée et complète d’un écosystème ; il n’est pas actuellement reconnu par le droit international) interviennent dans ce contexte. De telles initiatives ont pour but de pallier le sentiment d’impunité à l’égard d’une certaine criminalité environnementale. A cet égard, les chiffres parlent d’eux-mêmes : Interpol et le programme des Nations unies pour l’environnement évaluent à 258 milliards de dollars les revenus générés en 2016 par l’ensemble des crimes environnementaux. Il existe aujourd’hui de grandes divergences entre les différents pays dans la protection juridique de l’environnement, ce qui encourage un certain « dumping environnemental ». C’est ce que met tristement en lumière la situation actuelle dans le nord-est du Brésil où la mafia du bois sévit dans un climat de large impunité. Un droit de l’environnement plus développé au niveau international et qui s’adapte pour lutter contre de tels phénomènes est une des solutions envisagées par certains. Cela pourrait contribuer à un apaisement ; nous le voyons, l’activisme et la dénonciation atteignent leurs propres limites.
« L’écocide n’est pas actuellement reconnu par le droit international ».
SS : En effet, depuis le début des années 2000, des ONG, activistes, philanthropes et citoyens défendent un aboutissement vers la reconnaissance du concept « d’écocide » et de son inscription dans le droit international. Presque 20 ans plus tard, le sujet n’a jamais été aussi brûlant, de quoi s’agit-il ?
CP : Il existe différentes définitions du terme écocide mais ce qu’on retrouve systématiquement c’est l’idée d’atteinte « les plus graves » à la « sûreté » de la planète. Il y a d’abord l’idée de gravité : dans une approche graduée, seuls sont qualifiés d’écocide les actes présentant un haut niveau de gravité. Pour que cette interdiction reste crédible, elle ne peut évidemment pas viser la moindre atteinte à l’environnement. Ensuite, il y a la notion de « sûreté » qui renvoie à une atteinte étendue et durable aux composantes mêmes du milieu (l’air, l’atmosphère, les sols, les eaux et la faune ou flore) et à son intégrité. L’affaire Texaco/Chevron (saccage de l’Amazonie équatorienne par l’abandon en pleine nature de 70 millions de litres de résidus pétroliers toxiques entre les années ’60 et ‘90) en est un sombre exemple.