Lukman Ayodeji gagne sa vie en gonflant des pneus avec sa pompe alimentée par un générateur, indispensable au Nigeria où l'électricité fait cruellement défaut. La récente hausse du prix de l'essence pèse sur ses activités comme sur celles de tant d'autres.
La brusque suppression, le 1er janvier, des subventions sur les prix du carburant par le gouvernement a entraîné une montée en flèche des tarifs à la pompe, et le litre d'essence est désormais environ 50% plus cher qu'avant la mesure.
Lukman, qui travaille sur le grand marché d'Oshodi, à Lagos la capitale économique, dépense plus pour son générateur et a tenté de répercuter la hausse sur ses tarifs. Mais les clients n'apprécient guère.
"Les affaires ne vont pas comme il faut", soupire l'homme de 40 ans, expliquant que les clients ne cessent d'essayer des réductions.
L'annonce du 1er janvier avait suscité une vive colère à travers le pays qui avait été paralysé par une grève générale de huit jours tandis que des dizaines de milliers de Nigérians étaient descendus dans la rue, pour protester.
Un mois plus tard, et après avoir obtenu du président une concession - le litre d'essence avait dans un premier temps plus que doublé - ils doivent désormais composer avec cette nouvelle réalité.
Le gouvernement, qui a affirmé dépenser 8 milliards de dollars annuellement pour les subventions, a promis d'investir cet argent dans des projets d'infrastructures notamment. Beaucoup doutent que ces promesses seront tenues.
Le Nigeria est gangréné par la corruption qui entrave largement son développement et la majorité de ses 160 millions d'habitants vit avec moins de deux dollars par jour.
Le pays, premier producteur de pétrole d'Afrique, importe, paradoxalement, le gros de sa consommation de carburant car ses raffineries sont en très mauvais état.
Sur le marché d'Oshodi, Ola Ebiola vend des sachets d'eau potable, fraîche grâce à son réfrigérateur. Elle aussi a un petit générateur qui lui revient désormais plus cher. Elle a augmenté ses prix mais doit souvent faire machine arrière. "Les gens se plaignent!", dit-elle.
Certains jugent que la situation n'est pas tenable et prédisent de nouveaux troubles.
"Il n'est pas possible pour un travailleur moyen de joindre les deux bouts à 97 naira" le litre d'essence (0,47 euro), estime Abiodun Aremu, secrétaire général du Joint Action Front, un groupe de la société civile qui a organisé de nombreuses marches durant la grève générale.
"La perspective d'un soulèvement massif est bien là", prévient-il.
Des activistes, sur la toile notamment, ont de leur côté averti qu'ils surveillaient de près les dépenses les gouvernementales.
Le mouvement Enough is enough (Trop c'est trop), également à l'initiative de nombreux rassemblements durant la grève, a ainsi entrepris de tenir un décompte sur son site internet des sommes économisées par les autorités depuis le 1er janvier.
L'un de ses membres, Jide Aluko, explique que le groupe n'est pas forcément opposé à la fin des subventions. Beaucoup s'accordent pour affirmer que le programme était inefficace et cible d'énormes abus.
"Ce que nous disons, c'est, +d'accord, maintenant que vous avez partiellement supprimé les subventions, vous disposez d'un certain montant à dépenser pour ces choses que vous avez promises", dit-il. "Nous voulons savoir (...) combien vous allez investir dans ces choses".
Le Joint Action Front et Enough is Enough ont averti qu'ils mobiliseraient à nouveau les foules pour manifester et réclamer une baisse du prix de l'essence ou pour faire reculer la corruption.
Ayodeji, le gonfleur de pneus, ne se fait toutefois pas beaucoup d'illusions.
"Les prix ne vont pas baisser, nous devons faire face", dit-il, exprimant un sentiment partagé par beaucoup de vendeurs à Oshodi.