L'air résigné et bottes en caoutchouc aux pieds, Gerard Hartveld contemple l'horizon depuis la cour de l'exploitation familiale à Nieuwveen, dans le centre des Pays-Bas. Sans enfant, il ne peut pas non plus compter sur ses nombreux neveux pour reprendre la ferme de ses aïeux.
Il sait déjà que ses vaches, qu'il connaît toutes parfaitement, et ses terres, travaillées par la famille depuis 1913, seront confiées à des mains inconnues lorsqu'il partira à la retraite. Une situation qui se répand à vitesse grand V dans la campagne néerlandaise.
Les moutons sont les plus délaissés par les enfants d'agriculteurs : aux Pays-Bas, plus de huit éleveurs de brebis sur dix n'ont pas de repreneur.
Et même si la situation des élevages bovins et porcins est un peu meilleure, les jeunes gens désertent là aussi massivement les fermes familiales pour tenter leur chance en ville, en quête d'une vie moins précaire.
Le constat est alarmant: 60% des chefs d'exploitation agricoles de 55 ans ou plus n'ont pas de successeur, selon l'Office néerlandais des statistiques (CBS (NYSE:CBS)). Plus de 15.000 fermes néerlandaises pourraient disparaître au cours de la prochaine décennie.
- Sauver les brebis -
Thomas Legrand en sauvera peut-être une. Ce jeune Français de 27 ans est à la recherche d'une ferme à reprendre aux Pays-Bas, avec sa compagne néerlandaise. Sans contact dans le milieu agricole, dont il n'est "pas du tout issu", le couple compte s'inscrire sur un site en ligne qui met en relation les agriculteurs et ceux qui veulent le devenir.
"C'est comme un site de rencontre!", s'exclame Thomas, qui "rêve de reprendre un petit élevage de brebis dans le polder". Une de ces fermes de taille réduite les plus touchées par l'érosion de la chaîne familiale, où les cheptels se sont transmis de génération en génération. Où les bâtiments venteux regorgent de souvenirs ancestraux. Et où les cris joyeux des enfants, petits-enfants et arrière-petits-enfants résonnent encore dans la cour de la ferme.
Dans le passé, la transmission se faisait en majorité au sein de la famille, mais aujourd'hui, ce sont surtout de jeunes citadins qui embrassent le métier d'agriculteur: par passion, par envie de se "salir les mains" ou simplement pour échapper à un mode de vie toujours plus effréné en ville.
C'est là qu'intervient Sander Thus, de l'association nationale des jeunes agriculteurs (NAJK). Ce jeune éleveur de porcs de 28 ans s'investit pour mettre en relation dans tout le pays des agriculteurs sans repreneur, en partance pour la retraite, et des jeunes à la recherche de terres.
- Agriculteur cherche agriculteur -
"La plupart des gens qui cherchent aujourd'hui à reprendre une ferme sont des auto-entrepreneurs d'entre 20 et 40 ans, pas issus du milieu mais qui ont envie de se retrousser les manches", explique Sander Thus.
Sans terres, ces fermiers en herbe s'inscrivent alors à "Boer zoekt boer" ("Agriculteur cherche agriculteur"), un dispositif lancé sur la toile par la NAJK.
Comme pour un site de rencontres amoureuses, les utilisateurs s'inscrivent sur internet et attendent que leur recherche corresponde à un profil. Sander Thus arrange alors un rendez-vous entre l'aspirant fermier et l'agriculteur en fin de carrière, pour voir si le courant passe entre les deux.
Puis, le "candidat" est invité à passer une semaine à la ferme, histoire d'apprendre à se connaître avant de "parler affaire".
Une nouvelle annonce sera "bientôt" postée sur le site "Boer zoekt boer" par un céréalier dans la province de Limburg (sud), dont les trois enfants sont partis vivre en ville.
L'homme de 61 ans, qui a confié à l'AFP être "fatigué", sait déjà ce qu'il va écrire sur son profil: "Céréalier dans la province de Limburg cherche un jeune sérieux pour reprendre une centaine d'hectares, des terres de mes ancêtres que je ne veux pas voir entre les mains de promoteurs immobiliers".
- Coeur brisé -
Le site internet promeut un accord gagnant-gagnant qui séduit. Depuis la création du dispositif en 2011, "Boer zoekt boer" a déjà permis "plusieurs dizaines de reprises d'exploitations" en dehors du cercle familial. Et ce nombre de "mariages" est encore voué à croître, puisque 135 personnes à la recherche d'une ferme et 35 agriculteurs sans repreneur sont actuellement inscrits sur le site.
Pour Gerard Hartveld, l'heure de la retraite sonnera "dans 15 ans, pas avant". Dans le pré qui borde sa ferme, l'homme de 52 ans est entouré de Miranda, Greta et Katrine, doyennes du troupeau d'une bonne vingtaine de vaches laitières Red Holstein, des animaux à la robe blanche parsemée de tâches rougeâtres.
Lui n'a pas besoin de s'inscrire sur le site de la NAJK. Il explique, d'une petite voix mêlant tristesse et fierté, avoir plusieurs candidats dans les villages alentour pour reprendre sa ferme.
Amoureux de son métier, Gerard Hartveld est "et restera" éleveur laitier dans l'âme, ou plutôt, "dans le coeur". Un coeur certainement brisé - même si cet homme réservé ne l'avouera qu'à demi-mot - de voir la ferme de ses ancêtres "sortir de la famille".