Quinze étudiants du Pôle image du Département de géographie de l'université Paris 8 (Vincennes-ST Denis), ont exploré l'été dernier, entre mythe et réalité, les quelque 4000 km de la célèbre Route 66 entre Chicago et Los Angeles, réalisant un inventaire géophotographique de cette transcontinentale américaine, laissée à l'abandon depuis 1985.
Depuis 2006, Olivier Archambeau, maître de conférence à Paris 8 et prof atypique aux semelles de vent, entraîne ses étudiants sur les routes mythiques de la planète afin de les former aux méthodes d'observation et de travail sur le terrain.
Les apprentis géographes (2e et 3e année de licence et Master 1) ont successivement découvert depuis quatre ans la Route 40 (5200 km en Argentine, sur les contreforts de la Cordillère des Andes entre la Patagonie et la Bolivie), la "Great Northern Highway" en Australie (6000 km entre Perth et Darwin), et cette année la Route 66 entre l'est et l'ouest américain."Cet +inventaire géophotographique des grandes routes de la planète+ s'inscrit dans un programme décennal. Il permet de fixer, dans le temps et dans l'espace, l'évolution environnementale, historique, culturelle, sociale et économique, de ces grands axes et de leurs époques", explique Olivier Archambeau, par ailleurs président de la Société des explorateurs français (SEF).
Tous les 50 km, des prises de vue sont réalisées aux quatre points cardinaux, permettant d'immortaliser en temps T et selon un point GPS une représentation visuelle du paysage, complémentaire des vues aériennes et satellitaires. L'inventaire est enrichi de monographies photographiques, ainsi qu'en texte et vidéo des sites d'importance.
Hormis le standard du rock'n roll "Route 66" qui le rendit mondialement célèbre, le grand axe Est-Ouest, créé en 1926 et fini d'être asphalté en 1937, constitue un pan entier de l'histoire des Etats-Unis. John Steinbeck le baptisa "Mother Road" ("Route Mère"). La 66 fut également appelée "Main street of America" (Rue principale d'Amérique).
Mais depuis 1985, avec l'achèvement des Interstates Highways (Autoroutes inter-Etats), la 66, qui en traverse huit, a été envoyée au cimetière des grandes voies de communication.
"Elle a disparu des écrans radar, mais le mythe subsiste, dit Archambeau. Seuls, des vestiges figés dans le temps (antiques motels, pompes à essence antédiluviennes et limousines des années 30 et 40) témoignent dans des villages fantômes de sa splendeur passée. La Route 66 a pris ici et là l'aspect d'un +road museum+ (musée de la route)".
Cet inventaire géophotographique des grandes routes, entreprise de recherche singulière et innovante, relève d'une idée... centenaire.
Il y a un siècle, le banquier et mécène Albert Kahn en eut le premier la prescience pour réaliser ses "Archives de la Planète", une étonnante collection de milliers de photos et films de la Terre vue de la Terre, témoignage essentiel des premières années du XXe siècle.
Cette somme en images, récoltée dans une cinquantaine de pays, fut rassemblée sous la direction scientifique du grand géographe Jean Brunhes (1869-1930), qui déjà privilégiait la prise de vue pour appuyer ses recherches sur le terrain.
"C'est bien dans la continuité, le concept et l'esprit de Brunhes que nous inscrivons nos travaux de début du XXIe siècle", souligne Olivier Archambeau.