La Bolivie prépare le lancement d'une boisson gazeuse à base de feuilles de coca, dans une quête de débouchés pour cette culture "sacrée" que l'Etat veut étendre, malgré les craintes d'une expansion en parallèle de la cocaïne, dérivée de la plante.
Le vice-ministère du Développement de la coca a confirmé examiner cette initiative de cultivateurs de coca de la région du Chapare (centre), présentée la semaine dernière. Un nom a été suggéré, "Coca Colla", jeu de mots en référence au surnom des habitants de l'altiplano, les "collas".
Le vice-ministre, Victor Hugo Vasquez, a récemment indiqué à la presse que le projet de boisson "intéresse l'Etat dans sa politique d'industrialisation de la coca", qui a d'autres débouchés en tête: infusions, farines, gâteaux, liqueur, dentifrice à base de coca notamment.
La production pourrait être lancée d'ici quatre mois, selon une source ministérielle, qui précise que l'Etat hésite encore entre une compagnie publique ou une coentreprise avec les cultivateurs.
La boisson gazeuse serait de couleur sombre et arborerait une étiquette rouge, se positionnant en concurrence assumée avec Coca-Cola, dont la recette initiale, à la fin du XIXe siècle contenait des extraits de feuille de coca.
Le projet de soda andin s'inscrit en plein coeur de la "stratégie coca" d'Evo Morales, réélu en décembre pour un deuxième mandat présidentiel, jusqu'en 2015.
Le chef de l'Etat socialiste, lui-même ancien cultivateur de coca du Chapare et resté dirigeant régional de ces "cocaleros", a placé la revalorisation de la plante "sacrée" parmi les symboles clefs de son "indianisation" de la Bolivie.
La feuille de coca, mastiquée contre la faim et le mal d'altitude, infusée ou utilisée en rituels dans les Andes depuis des millénaires, a été élevée au rang de "patrimoine culturel" et de "facteur de cohésion sociale" dans la nouvelle Constitution de 2009 .
Morales est allé à l'ONU plaider sa dépénalisation et le retrait de la feuille de la liste des substances interdites depuis 1961.
Surtout, il entend élever de 12.000 à 20.000 hectares le seuil de cultures autorisées pour l'usage "licite" de la feuille de coca. Le projet devrait être adopté sans écueil, étant donné le contrôle total du parti présidentiel sur le nouveau Parlement.
Mais ce seuil de 12.000 hectares est déjà controversé: les critiques de la politique antidrogue de l'Etat jugent qu'il dépasse largement le seul usage "traditionnel" de la coca. Et qu'il nourrit un narcotrafic en pleine expansion.
La Bolivie était en 2008 le troisième producteur mondial de cocaïne selon les dernières données de l'ONU, qui pointe une hausse de la production (+9% par rapport à 2007) et de la surface de coca cultivée (plus de 30.000 ha, +20% en 5 ans).
Le gouvernement Morales, aux rapports conflictuels avec Washington, rétorque qu'il lutte plus efficacement contre le narcotrafic (26 tonnes saisies en 2009) qu'avant l'expulsion du pays de l'agence antidrogue américaine en 2008.
Mais avec une surface cultivée vouée à s'étendre, la Bolivie s'apprête à de nouveaux accrochages avec l'administration américaine, qui a encore appelé le pays andin à faire des efforts pour améliorer sa coopération en matière de lutte antidrogue le mois dernier.
Qu'un vraisemblable et médiatique contentieux commercial, sur l'usage un rien provocateur du nom "Coca Colla", vienne s'y adjoindre, ne devrait guère effrayer le gouvernement Morales.