par Ayla Jean Yackley et Tom Perry
MURSITPINAR Turquie/BEYROUTH (Reuters) - Les défenseurs kurdes de Kobani, ville du nord de la Syrie à la frontière turque en passe de tomber aux mains des djihadistes de l'Etat islamique (EI), ont demandé samedi à la coalition emmenée par les Etats-Unis de multiplier les raids aériens.
Si la Turquie refuse d'ouvrir sa frontière pour leur permettre d'obtenir des armes, les miliciens kurdes finiront inévitablement par être mis en déroute, a averti pour sa part l'Observatoire syrien des droits de l'homme (OSDH), qui suit l'évolution du conflit par le biais d'un réseau d'informateurs sur le terrain.
La coalition formée à l'initiative de Washington pour combattre l'EI a multiplié les raids aériens ces quatre derniers jours. Dans un communiqué, les Unités de protection du peuple kurde (YPG) qui défendent la ville font état de lourdes pertes dans les rangs des djihadistes, mais ajoutent que les raids ont été moins efficaces ces deux derniers jours.
"On a un problème avec les combats de rue. Les avions ne peuvent pas viser une cible qui se trouve entre les maisons", a déploré Esmat al Sheikh, chef du comité de défense de Kobani, joint sur place par Reuters.
"Les raids aériens nous aident, mais l'Etat islamique ramène des chars et de l'artillerie de l'Est. Nous n'avions pas vu de chars jusqu'ici, mais, hier, on a aperçu des T-57".
Les miliciens kurdes assiégés depuis trois semaines n'ont quant à eux reçu aucun renfort. Les assaillants se trouvent à l'est, à l'ouest et au sud de la ville, ce qui ne laisse que la voie turque au nord pour d'éventuelles livraisons d'armes.
L'émissaire spécial des Nations Unies pour la Syrie, Staffan de Misturaa, a prié vendredi Ankara de laisser des volontaires leur prêter main forte pour éviter un massacre.
"Notre appel s'appuie sur le principe que l'Onu ne renoncera pas, après Srebrenica, à faire des droits de l'homme une priorité", a-t-il déclaré, évoquant le massacre de 8.000 hommes et adolescents en juillet 1995 dans cette ville de Bosnie alors sous protection de l'Onu.
"VOUS SOUVENEZ-VOUS DE SREBRENICA ?"
"Vous souvenez-vous de Srebrenica ? Nous, oui. Nous n'avons pas oublié et nous ne nous le pardonnerons sans doute jamais", a insisté le diplomate suédois.
Les Etats-Unis eux-mêmes reconnaissent que les frappes aériennes ne pourront sans doute pas empêcher la chute de Kobani, ville dont le secrétaire d'Etat John Kerry a dit qu'elle n'était pas "un objectif stratégique".
Les représentants de la communauté kurde de Turquie demandent eux aussi à Ankara d'ouvrir un corridor pour permettre l'acheminement de renforts et d'armes à Kobani, aussi appelée Ain al Arab.
Pour le directeur de l'OSDH, Rami Abdelrahman, l'EI "reçoit hommes et matériel, alors que la Turquie empêche Kobani d'obtenir des munitions. Malgré la résistance, si les choses restent en l'état, les forces kurdes seront comme une voiture en panne sèche".
La bataille de Kobani a donné lieu à des manifestations d'une rare violence qui ont fait 33 morts en Turquie, où vivent 15 millions de Kurdes.
Beaucoup accusent le président Recep Tayyip Erdogan de fermer les yeux sur le sort de leurs frères syriens. Les miliciens kurdes de Kobani sont proches du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK), mouvement séparatiste qui a combattu la souveraineté turque pendant quarante ans avant d'entamer récemment un processus de paix fragile avec Ankara.
Samedi, de gros nuages de fumée étaient visibles au-dessus de la ville et des tirs retentissaient en permanence dans l'après-midi, selon un correspondant de Reuters posté du côté turc de la frontière.
Selon un responsable militaire de Qamichli, autre secteur de Syrie aux mains de milices kurdes, des milliers de combattants sont disposés à prêter main forte aux défenseurs de Kobani si la Turquie autorise l'ouverture d'un corridor.
"Selon les informations en provenance de Kobani, il n'y pas de problème d'effectifs, mais une pénurie de munitions", dit-il.
D'après les derniers chiffres des Nations Unies, 700 habitants, surtout des personnes âgées, sont coincés dans la ville elle-même et environ 12.000 se trouvent à l'extérieur, dans une zone proche de la frontière turque.
L'OSDH fait état de 226 miliciens kurdes et 298 combattants de l'EI tués depuis le début de l'offensive, à la mi-septembre.
(Avec Dasha Afanasieva à Istanbul, Jean-Philippe Lefief pour le service français, édité par Gilles Trequesser)