La fracture syndicale se creuse, sur fond de vive tension sociale, entre la CFDT réformiste, dont le numéro un Laurent Berger critique vertement la stratégie des militants cégétistes à Aulnay (PSA) ou à Goodyear, et le front autour de la CGT radicalisée, pour laquelle "l'heure de la mobilisation a sonné" .
Le nouveau leader de la CFDT a renvoyé dos à dos vendredi la direction de Goodyear et "l'organisation syndicale majoritaire", la CGT, leur imputant une responsabilité "à part égale" dans le projet de fermeture du site. Il a dénoncé la "position dogmatique" des militants cégétistes, dont le chef de file est l'élu CGT, Mickaël Wamen (ex-candidat communiste).
"J'ai passé toute la matinée à l'usine, la seule chose que les salariés me disent, c'est qu'on a eu raison de continuer à se battre", a réplique M. Wamen pour qui la "CFDT a été évincée il y a 4 ans" de Goodyear parce que les salariés estiment que "le syndicalisme réformiste, ce n'est pas ce qui va permettre d'avoir du boulot demain"
M. Berger s'en était pris aussi mardi aux méthodes "d'intimidation de la CGT' à l'usine PSA Peugeot-Citroën d'Aulnay. "Je ne cautionnera jamais les débordements et les menaces", avait-il lancé.
Sur ce site, le mouvement s'est radicalisé sous la houlette notamment de Jean-Pierre Mercier, délégué CGT et membre de l'organisation d'extrême gauche Lutte ouvrière.
Pour Luc Bérille, secrétaire général de l'Unsa, proche de la CFDT, une "stratégie de lutte de classe est mise en place par un courant de la CGT", très politisé. C'est une "stratégie d'affrontement frontal", selon lui, qui "ne vise pas à la négociation" mais veut faire "converger" les luttes des salariés des différentes entreprises, comme les récentes opérations "cause commune" des ouvriers de PSA et de Renault.
La stratégie de la direction de la CGT, qui est "de plus en plus axée sur la rupture et le refus de négociation, conforte ce type de mouvement" , estime le leader réformiste.
La réalité du terrain forge d'autres alliances
La CGT s'en tient à un discours musclé: "l'heure de la mobilisation a sonné", affirmait jeudi Thierry Lepaon futur secrétaire général de la CGT, soutenant la grève des fonctionnaires appelés par son syndicat ainsi que par la FSU et Solidaires.
Cristallisé autour de l'accord sur la sécurisation de l'emploi, deux fronts syndicaux se constituent: les réformistes - CFDT, CFTC, CFE-CGC, Unsa- partisans de l'accord et les opposants - CGT, FSU, Solidaires - et Force ouvrière qui rejoint ce camp et envisage des actions communes avec la CGT contre cet accord.
Mais, au niveau local la réalité du terrain forge d'autres alliances. Ainsi chez PSA, la CFDT s'est associée à la grève, malgré les critiques de Laurent Berger, alors que FO, CFTC et CFE-CGC ont constitué une intersyndicale dénonçant les méthodes "inacceptables" de certains grévistes.
A Renault, alors qu'au niveau du groupe direction et syndicats sont engagés dans un bras de fer sur un accord de compétitivité, les syndicats sur chaque site appellent au cas par cas à des débrayages chaque semaine, en intersyndicale ou en solo.
Du côté du groupe pharmaceutique Sanofi, la CFDT, en intersyndicale avec la CGT et Sud, multiplie les actions pour suspendre le plan de restructuration, et réclamait ainsi mardi devant le ministère du Travail la loi interdisant les licenciements boursiers aux côtés de centaines de salariés d'entreprises touchées par des restructurations.
A Florange, l'un des sites d'ArcelorMittal, les syndicats locaux CFDT, CGT et FO se battent aussi en intersyndicale depuis plus de 18 mois pour tenter de maintenir leur outil de travail -- la CFE-CGC était au départ de l'aventure avant de sortir du mouvement. Et même si Laurent Berger a jugé "acceptable" l'accord passé fin novembre entre le gouvernement et ArcelorMittal, le meneur CFDT de Florange, Edouard Martin, n'a pas hésité à s'enchaîner aux fenêtres de Matignon le 23 janvier pour exprimer son total désaccord avec le plan.
Le Comité d'entreprise (CE) d'Air France est la parfaite illustration des luttes syndicales intestines qui se jouent parfois au sein des entreprises. Depuis des années, les syndicats se déchirent sur la gestion du CE. La CGT aujourd'hui aux manettes semble tiraillée en son sein entre le principe de réalité, qui impose un plan social, et le radicalisme cégétiste au niveau du groupe.