Le dispositif antipub de la Freebox en France menace potentiellement la presse en ligne mais sonne surtout comme un coup de semonce contre le géant Google, premier bénéficiaire de la publicité sur le web au détriment de fournisseurs d'accès à l'internet comme Free.
"C'est une vieille histoire entre Google et les opérateurs fournisseurs d'accès", rappelle Philippe Jannet, ex-président du GESTE (Groupement des éditeurs numériques) et actuellement directeur général du GIE e-Presse, le kiosque numérique regroupant plusieurs grands éditeurs de presse.
Depuis des années, les fournisseurs d'accès à l'internet se plaignent que les grands fournisseurs américains de contenu siphonnent toute la publicité des sites web, ne leur laissant rien alors qu'ils sont obligés de consentir d'importants investissements pour faire face à la place de plus en plus grande de la vidéo, très gourmande en bande passante.
Quand les opérateurs "voient un coucou comme Google vendre l'eau qui circule dans les tuyaux qu'ils ont fournis sans leur reverser un centime, ils ont de quoi s'énerver", observe M. Jannet.
Dans ce contexte, l'annonce que la "box" qui permet aux abonnés de Free d'accéder à l'internet éliminait d'office les publicités a été perçue par les spécialistes du net comme une escalade dans l'offensive anti-Google.
A ce stade, le blocage antipub de Free est opportunément présenté dans sa version "béta", c'est-à-dire en phase de test.
Car en réalité, Free ne vise qu'à "faire monter la pression sur Google" pour négocier un partage de la valeur générée par la publicité en ligne, dans le cadre d'un accord de "peering payant" avec l'américain, explique à l'AFP une source proche du dossier.
L'opérateur historique, Orange (France Télécom), a lui-même négocié avec Google un accord similaire pour un montant chiffré en millions d'euros, et ses concurrents comme Bouygues voudraient en faire autant, selon la même source.
"Si Free atteint son objectif, une petite révolution est en vue", relève Tangi Le Liboux, analyste du courtier Aurel BGC. "Mais nous n'y sommes pas encore", prévient-il.
Même si le "dernier coup" de Free révèle la fragilité de l'écosystème s'appuyant sur la monétisation par la publicité des sites, M. Jannet ne voit "pas l'intérêt pour Free d'entrer en guerre avec les éditeurs de presse en ligne" qui basculent d'ailleurs peu peu à peu vers des modèles hybrides entre publicité et abonnements payants.
Ce n'est pas un hasard si Free a choisi les premiers jours de janvier, c'est-à-dire "la période de l'année où il y a le moins d'affichages publicitaires", a expliqué à l'AFP la source proche du dossier.
Ce choix lui permet de frapper sans faire trop de mal aux médias en ligne, dont les recettes sont tirées, pour les plus diversifiés, à 65% de la pub.
Le chiffre d'affaires réalisé en France par Google serait "d'environ 1,6 milliard d'euros", et le nouveau dispositif de Free - qui compte 5 millions d'abonnés - pourrait faire perdre à l'américain "jusqu'à un million d'euros par jour", selon les estimations d'une source proche du dossier.
"Voilà qui devrait pousser le géant à parler au petit opérateur", résume-elle.
Interrogé par l'AFP, un porte-parole de Google a indiqué que le groupe américain avait "constaté les mesures prises par Free" et était "en train d'analyser la situation".
La ministre de l'Economie numérique, Fleur Pellerin, s'est dite consciente de l'existence d'un "différend entre Free et Google", sans pouvoir dire si ce dispositif antipub s'inscrivait dans ce contexte.
Mme Pellerin doit recevoir lundi les éditeurs et l'opérateur. "S'il y a une négociation en cours entre Free et Google sur le partage de la valeur, c'est de cela dont nous allons parler", a-t-elle indiqué.
De son côté, l'Autorité des postes et télécoms (Arcep) a adressé un courrier à Free "afin de l'interroger sur la finalité et les modalités détaillées du dispositif mis en place". Le régulateur attend la réponse de l'opérateur "pour le milieu de la semaine prochaine".