(Reuters) - Des salves de coups de feu de célébration ont retenti mardi matin à Kaboul alors que les combattants taliban ont pris le contrôle de l'aéroport avant l'aube dans le sillage du retrait des derniers soldats américains dans la nuit, après vingt ans d'intervention militaire en Afghanistan.
"C'est un jour historique et un moment historique", a déclaré un porte-parole des taliban, Zabihoullah Moujahid, lors d'une conférence de presse organisée dans l'aéroport de la capitale afghane après le départ des troupes américaines.
"Nous sommes fiers (...) d'avoir libéré notre pays", a-t-il ajouté.
Des vidéos de mauvaise qualité distribuées par les taliban documentent leur entrée dans l'enceinte de l'aéroport de la capitale afghane peu après le décollage du dernier avion de transport militaire américain lundi soir une minute avant minuit, clôturant le départ précipité des troupes américaines et de leurs alliés de l'Otan.
Ce retrait du contingent américain est finalement intervenu avec 24 heures d'avance sur la date butoir du 31 août fixée par le président des Etats-Unis Joe Biden pour respecter un accord conclu par son prédécesseur Donald Trump avec le mouvement fondamentaliste afghan en février 2020.
Avant de quitter les lieux et de clôturer l'intervention lancée il y a 20 ans par le président des Etats-Unis George W. Bush à la suite des attentats du 11-Septembre, les troupes américaines ont détruit plus de 70 avions et des dizaines de véhicules blindés et ont désactivé les systèmes de défense aérienne qui leur avait permis d'intercepter des roquettes tirées par l'Etat islamique contre l'aéroport lundi matin.
LA COMMUNAUTÉ INTERNATIONALE ATTENTIVE
"Après vingt ans, notre présence militaire en Afghanistan a désormais pris fin", a déclaré dans un communiqué Joe Biden, qui doit s'adresser aux Américains mardi après-midi.
Cible de critiques l'accusant d'avoir favorisé le retour des taliban au pouvoir par un retrait trop rapide des forces américaines, Joe Biden a défendu à plusieurs reprises ces dernières semaines sa décision de mettre fin au conflit le plus long de l'histoire des Etats-Unis, dont l'objectif n'a jamais été selon lui de rétablir la stabilité en Afghanistan mais de protéger les Etats-Unis du terrorisme en l'empêchant de continuer à servir de refuge au groupe djihadiste Al Qaïda.
Le président américain a assuré dans son communiqué que la communauté internationale veillerait à ce que les taliban respectent leur engagement à laisser tous ceux qui le souhaitent quitter l'Afghanistan en sécurité.
Le Conseil de sécurité de l'Onu a adopté lundi à la quasi-unanimité (seules la Chine et la Russie s'étant abstenues) une résolution appelant les combattants islamistes afghans à garantir la sécurité des candidats au départ, l'accès des associations humanitaires au pays et le respect les droits humains, en particulier pour les femmes et les enfants.
Cette résolution "exige que la plate-forme aéroportuaire soit sécurisée et que l'accès à cette plate-forme soit assuré par les autorités de fait que sont les taliban", a souligné mardi sur France 2 le ministre français des Affaires étrangères, Jean-Yves Le Drian.
Depuis la chute de Kaboul entre les mains des taliban mi-août, l'enceinte de l'aéroport était sous le contrôle des forces américaines tandis que la sécurisation de ses abords était assurée par les taliban.
Désormais il faut "essayer de trouver une solution pour la gestion" de l'aéroport, a indiqué Jean-Yves Le Drian. "Nous y travaillons, il y a des discussions aujourd'hui avec les Qataris et les Turcs, parce qu'aujourd'hui l'aéroport ne fonctionne plus", a expliqué le ministre, qui espère "un accord pragmatique avec les autorités de fait".
Même si les opérations militaires d'évacuations qui se sont multipliées au cours des deux dernières semaines ont permis l'exfiltration de plus de 122.000 personnes, des dizaines de milliers d'Afghans qui souhaitent fuir leur pays n'ont pas pu embarquer à bord de ces vols et quelques centaines de ressortissants étrangers seraient encore présents en Afghanistan.
BIENTÔT UN GOUVERNEMENT DE CONSENSUS ?
Le secrétaire d'Etat américain Antony Blinken a précisé lundi soir que les Etats-Unis étaient prêts à travailler avec un futur gouvernement taliban si le mouvement islamiste ne lançait pas de représailles à l'encontre de ses opposants dans le pays.
"Les taliban attendent à la fois une légitimation et de l'aide de la part de la communauté internationale. A nos yeux, ils vont devoir les mériter", a-t-il dit.
Zabihoullah Moujahid a réaffirmé mardi que "l'Emirat islamique (d'Afghanistan) comptait établir de bonnes relations diplomatiques avec le monde entier".
Le ministre pakistanais des Affaires étrangères Shah Mehmood Qureshi a annoncé mardi lors d'une conférence de presse à Islamabad que les taliban devraient former "un gouvernement de consensus (...) dans les prochains jours".
Ce futur gouvernement devra s'atteler à la difficile reconstruction d'un pays dont l'économie a été anéantie par des décennies de guerre et sans les milliards de dollars d'aide internationale qui maintenaient le pays sous perfusion mais ont également alimenté une corruption systémique.
Les Nations unies ont par ailleurs alerté sur une situation humanitaire catastrophique, aggravée par une grave sécheresse. Ce conflit de deux décennies a coûté la vie à environ 2.500 soldats américains, 89 soldats français et près de 240.000 Afghans.
(Reportage bureaux de Reuters, rédigé par Steven Coates and Simon Cameron-Moore ; version française Myriam Rivet, édité par Blandine Hénault)