par Karolina Tagaris
LESBOS, Grèce (Reuters) - Ils agitent les bras, s'étreignent et sourient, visiblement heureux de poser le pied sur le sol européen, dimanche, après un trajet périlleux qui leur a fait traverser la mer Egée, de la Turquie à l'île grecque de Lesbos à bord d'un canot pneumatique, comme avant eux, des milliers de candidats à l'exil.
Ces quelque 50 migrants et réfugiés sont les premiers à arriver sur la petite île grecque depuis qu'est entré en vigueur ce dimanche l'accord conclu vendredi entre les Européens et la Turquie.
Cet accord vise à freiner les arrivées de migrants et de réfugiés dans l'Union européenne en contrepartie d'une aide financière et de facilités accordées à Ankara.
Epuisés mais soulagés, ils ont enveloppé leurs vêtements humides dans des couvertures de survie tandis que des bénévoles leurs offraient des habits secs et des vivres.
Selon un responsable de la police, une douzaine de bateaux sont arrivés avant 6h00 du matin sur une côte située près de l'aéroport de Mytilène. Un journaliste de Reuters a assisté à l'arrivée dès l'aube de trois embarcations en l'espace d'à peine heure. Deux hommes ont été extirpés inconscients d'un des bateaux au milieux des cris de leurs compagnons de voyage.
L'accord conclu vendredi prévoit le retour en Turquie de toutes les personnes qui arriveront illégalement sur les îles grecques de la mer Egée à partir de ce dimanche, selon le principe du "un pour un": "Pour chaque Syrien renvoyé en Turquie depuis les îles grecques, un autre Syrien sera réinstallé de la Turquie vers l'UE en tenant compte des critères de vulnérabilité des Nations unies."
En échange de sa contribution au règlement de la crise migratoire, la Turquie a obtenu une aide financière supplémentaire de la part de l'Europe - trois milliards d'euros en plus des trois milliards déjà accordés -, la mise en oeuvre anticipée de la libéralisation des visas pour les citoyens turcs et l'accélération du processus d'adhésion de la Turquie à l'UE.
Mais ceux qui ont décidé de braver les flots pour rejoindre l'Europe espèrent passer outre l'accord de Bruxelles.
PREMIERS RETOURS LE 4 AVRIL
Hussein Ali Mohammed, un Syrien dont les études de lettres ont été interrompues par le conflit, explique qu'il compte se rendre au Danemark pour y poursuivre son cursus. Interrogé sur sa connaissance de l'accord de vendredi, il a répondu:
"Je suis au courant. J'espère franchir les frontières. J'espère pouvoir terminer mes études ici, c'est tout. Je ne veux pas d'argent, je veux juste terminer mes études. Voilà mon message."
Hussein Ali Mohammed a multiplié les petits boulots en Turquie pour s'offrir les services d'un passeur et sa principale crainte aujourd'hui est d'être renvoyé de l'autre côté de la mer Egée. "J'ai travaillé très, très dur en Turquie. J'ai économisé pour venir ici."
Autre arrivant, Mohammed, un informaticien de trente ans originaire de Daraa, en Syrie. Il dit vouloir rester en Grèce jusqu'à ce qu'il trouve un moyen de retrouver son épouse et son fils en Allemagne.
Les premiers retours sont prévus le 4 avril, mais la légalité de l'accord entre l'Union et la Turquie continue de poser question et le sort des dizaines de milliers de migrants et réfugiés déjà arrivés en Grèce n'est pas clair.
Au moins 144.000 personnes, Syriens, Irakiens et Afghans, pour la plupart, sont arrivés en Grèce cette année selon des chiffres du HCR. Près de 60% d'entre eux sont des femmes et des enfants.
Plus de la moitié sont arrivés par Lesbos, en première ligne de la crise migratoire la plus importante à laquelle l'Europe doit faire face depuis la Seconde Guerre mondiale.
Très peu, voire aucun d'entre eux, n'a l'intention de rester en Grèce, privilégiant le nord de l'Europe, l'Allemagne notamment, où ils espèrent trouver davantage d'aide et de meilleures perspectives d'emplois qu'en Grèce où la crise économique reste vivace.
Mais avec la fermeture des frontières dans les Balkans au moins 47.000 migrants et réfugiés sont coincés en Grèce, dans des camps et dans des ports. Plus de 10.500 patientent dans des conditions déplorables à la frontière macédonienne dans l'espoir de poursuivre leur route vers le Nord.
(Nicolas Delame pour le service français)