par Julien Ponthus
PARIS (Reuters) - Si les résultats 2016 des banques françaises sont globalement jugés encourageants par les analystes et les investisseurs, ils n'ont en revanche pas rassuré les syndicats et les salariés sur l'évolution à terme de l'emploi dans le secteur.
Crédit agricole S.A. a clôturé mercredi le bal des publications annuelles des groupes bancaires cotés français avec des profits meilleurs que prévu, suscitant l'enthousiasme en Bourse des investisseurs, qui ont aussi salué la semaine dernière Société générale et Natixis.
"Globalement on va dire qu'on a eu un dernier trimestre assez solide", explique Jérôme Legras, directeur de la recherche chez Axiom AI, qui note néanmoins que les attentes étaient peut-être trop optimistes pour BNP Paribas (PA:BNPP), dont les résultats et le plan stratégique ont reçu dans un premier temps un accueil glacial en Bourse.
Pour ce financier, les valeurs bancaires françaises, comme une bonne partie du secteur en Europe, ont touché un "point d'inflexion" et sortent d'une période morose, où les attentes les concernant étaient souvent révisées à la baisse, pour un cycle plus favorable, où l'optimisme est revenu sur leurs perspectives.
"Il y a beaucoup de restructurations et d'efforts de réorganisation qui commencent à porter leurs fruits après de longues années", estime l'analyste, pour qui "il y a aussi le sentiment que, sur les taux d'intérêt, on a touché un point bas".
Les patrons des banques françaises ont tous relayé, avec plus ou moins de prudence, le sentiment que le plus dur était passé au niveau des taux d'intérêt durant leurs échanges avec la presse et les investisseurs.
Ils ont également insisté sur la nécessité de poursuivre la digitalisation des différents métiers de la banque et l'adaptation de leur réseau aux changements d'usage des clients, qui boudent de plus en plus leur agence.
Des plans stratégiques, d'économies, de fermetures d'agences et de digitalisation sont en cours ou en passe d'être actualisés dans presque tous les établissements, une situation jugée anxiogène et dénoncée récemment par le syndicat Force ouvrière.
"Une banque qui dit, je vais arrêter de me restructurer simplement parce que l'environnement de taux est meilleur, elle va mourir à long terme, il faut s'adapter aux marchés", estime Jérôme Legras.
Ce constat est partagé par le Syndicat national de la banque pour qui le secteur va poursuivre sa mue.
"C'est toujours d'actualité, le fait qu'ils dégagent de beaux résultats au titre de 2016, cela ne change strictement rien", a commenté à Reuters le président du SNB Régis Dos Santos, qui réclame un effort massif de formation pour adapter les qualifications des employés.
Longtemps l'un des plus importants recruteurs en France, le secteur bancaire n'est plus un créateur net d'emplois, une tendance devenue structurelle et dont la majorité des syndicats a pris acte.
PYRAMIDE DES ÂGES VS PLANS SOCIAUX
Les organisations syndicales exigent néanmoins que soit utilisée la variable d'ajustement d'une pyramide des âges vieillissante pour adapter en douceur les effectifs.
"Tout ce qu'on espère, c'est que cela continue sous la forme de non-remplacements de départs en retraite et surtout pas de plans sociaux", témoigne Régis Dos Santos, qui veut à tout prix éviter les hémorragies massives de postes qu'ont connues de nombreuses banques européennes.
Crédit Suisse (SIX:CSGN) a par exemple annoncé que les réductions d'effectifs pourraient atteindre 6.500 postes cette année après un total de 7.250 licenciements en 2016, une destruction massive d'emplois également observée dans des grandes banques de pays voisins de la France, comme l'Allemagne, l'Italie ou les Pays-Bas.
"Je n'ai pas de raison de croire à un scénario catastrophe", en France, veut croire pour sa part Luc Mathieu, secrétaire général de la fédération CFDT Banques et Assurances, pour qui l'outil de la pyramide des âges devrait effectivement être utilisé.
En revanche, à plus long terme, l'inquiétude est palpable.
En privé, certains responsables du secteur craignent que la solution des départs naturels ne soit bientôt plus suffisante face aux gains de productivité rendus possibles par les nouvelles technologies et "l'ubérisation" annoncée de certains métiers de la banques.
L'introduction en France de logiciels issus de l'intelligence artificielle commence également à donner des frissons aux employés d'un secteur bancaire au bord de la crise existentielle tant l'ampleur de la révolution technologique attendue semble vertigineuse.
"D'ici cinq à dix ans, cette intelligence artificielle pourra s'occuper de la clientèle standard, dans une logique de rentabilité à tout crin", s'inquiète le secrétaire général de FO Banques, Sébastien Busiris, sur le site internet du syndicat.
"Tous réseaux confondus, 25.000 à 30.000 emplois sont menacés, on est peut-être à la veille d’une révolution complète, avec la déshumanisation du métier", poursuit le syndicaliste.
WATSON INQUIÈTE
L'introduction du logiciel d'intelligence artificielle Watson au Crédit mutuel a suscité l'émoi des syndicats, dont certains sont allés en justice afin de réclamer des études poussées sur cette technologie.
Watson, développé par IBM (NYSE:IBM) et qui a notamment remporté le jeu télévisé Jeopardy! contre un humain, est actuellement déployé pour aider les conseillers à traiter les courriels des clients et préparer l'exécution de leurs demandes.
"La mise à disposition et l'utilisation de ces solutions visent à permettre aux conseillers de gagner chaque jour du temps sur des tâches à faible valeur ajoutée, pour en libérer sur des actions commerciales", explique à Reuters la banque mutualiste, pour qui Watson ne préfigure en rien une diminution de l'emploi.
D'autres banques utilisent également l'intelligence artificielle à travers les "bots", des logiciels capables de répondre à des questions de clients via des "chats", ou à assister des conseillers en leur apportant les réponses techniques.
La généralisation de ces technologies, préparée par les états-majors des banques, pourrait effectivement provoquer une hémorragie en termes d'emploi, prédisent certains experts.
"En étant très prudent, à horizon 10 ans, il y a au moins 20% des positions dans l'industrie bancaire et l'assurance qui sont à risque, et encore, c'est une hypothèse prudente, cela peut être le double", estime Julien Maldonato, spécialiste de nouvelles technologies dans le domaine bancaire pour Deloitte.
(Avec Guillaume Frouin et Maya Nikolaeva, édité par Jean-Michel Bélot)