C'est devenu une coutume. A chaque nouvelle décision ou évolution de la Banque centrale européenne (BCE), certains esprits s'échauffent en Allemagne, dénonçant la perte d'influence de la première économie européenne. Cette fois, c'est la perspective de la modification du processus de vote qui déchaîne les critiques.
En cause ? Le feu vert donné par Bruxelles début juin à l'entrée dans l'euro d'un 19e membre, la Lituanie, qui devrait sauf surprise rejoindre la monnaie unique à compter du 1er janvier 2015, avec pour conséquence une modification des prises de décisions au sein de la BCE.
Représenté par le gouverneur de sa banque centrale, chaque pays membre dispose actuellement d'un droit de vote lors de chaque réunion mensuelle de politique monétaire de l'institution de Francfort.
Mais une fois atteint le cap de 19 membres, les cinq principales économies de la zone -France, Allemagne, Espagne, Italie, Pays-Bas- ne disposeront plus que de quatre droits de vote par réunion, impliquant que l'une d'elle renonce à voter à tour de rôle, tandis que les 14 pays restants en recevront onze.
Ce dispositif est prévu par les traités depuis 2003 mais des économistes et éditorialistes allemands s'insurgent, n'imaginant pas que la banque centrale allemande, premier contributeur au budget de la BCE, ne puisse plus voter à chaque réunion. D'autant qu'ils sont persuadés que seule la Bundesbank peut faire rempart à la politique monétaire forcément débridée que voudraient mener d'autres, en particulier la France et l'Italie.
A la tête de la fronde, le député Klaus-Peter Willsch, membre du parti CDU de la chancelière allemande Angela Merkel, veut que le gouvernement allemand obtienne "une modification des règles de la BCE pour que le président de la Bundesbank ait un droit de vote permanent". Un discours partagé par d'autres élus conserveurs.
Une fois entré en vigueur, le nouveau mécanisme de vote "va encore réduire l'influence de l'Allemagne au sein de la BCE" et "faciliter les abus de pouvoir déjà épinglés par la cour constitutionnelle" allemande, renchérit Hans-Werner Sinn, président du respecté institut économique Ifo et pourfendeur acharné de la monnaie unique et des institutions européennes.
- Weidmann, l''homme sans voix' -
Le quotidien des affaires Handelsblatt est lui aussi monté au créneau mardi, qualifiant le président de la Bundesbank, Jens Weidmann, "d'homme sans voix" et suspectant certains pays et le président de la BCE, l'Italien Mario Draghi, de vouloir faire adopter des décisions dans le dos de l'Allemagne.
Contactée par l'AFP, la Bundesbank n'a souhaité faire aucun commentaire, évitant soigneusement de se mêler au débat alors qu'elle vient d'apporter son soutien à une nouvelle baisse du taux directeur de la BCE, à 0,15%, un niveau historiquement bas, et un train de mesures destinées à soutenir le crédit.
Par ailleurs, même dotée de son droit de vote, elle n'a pas pu empêcher l'adoption de deux programmes de rachat de dette des Etats de la région, en 2010 et 2012, auxquels elle s'était publiquement opposée.
"Ce que tous oublient de dire, c'est que ce n'est pas seulement Weidmann qui perdra tous les cinq mois son droit de vote mais également ses pairs de France, d'Italie, d'Espagne et des Pays-Bas", relève Claus Hulverscheidt dans les colonnes de la Süddeutsche Zeitung.
En outre, ce sont "les petits pays (qui) risquent de perdre le plus de pouvoir", ajoute Michael Schubert, analyste de la banque allemande Commerzbank.
Pour les dirigeants, la question semble tranchée: "Il n'est pas dans l'intérêt du gouvernement allemand de modifier le principe de rotation ou même simplement d'ouvrir une discussion sur un changement de statut pour la BCE", explique le ministère des Finances.
"La BCE est une institution européenne, qui est liée aux intérêts européens et non nationaux", ajoute-t-il.
Quant à la BCE, elle rappelle que tous les membres du conseil des gouverneurs pourront participer aux réunions et auront le droit de s'exprimer.