La fraude à l'arbitrage a-t-elle été démontrée? Énième round judiciaire dans l'affaire Tapie: l'homme d'affaires a attaqué mercredi devant la Cour de cassation l'arrêt qui avait annulé l'arbitrage lui octroyant plus de 400 millions d'euros pour régler son litige avec le Crédit lyonnais.
L'ancien patron de l'OM et ministre de François Mitterrand, 73 ans, en guerre avec la Crédit Lyonnais depuis la revente d'Adidas (DE:ADSGN) en 1994, n'était pas présent à l'audience.
L'enjeu est de taille: la cour d'appel de Paris avait estimé le 17 février 2015 que la sentence arbitrale, qui lui avait alloué en 2008 404 millions d'euros, dont 45 au seul titre du préjudice moral, était entachée de "fraude". Elle avait notamment mis en avant les "liens anciens, étroits et répétés" entre l'un des trois juges-arbitres, Pierre Estoup, l'homme d'affaires et son avocat Maurice Lantourne.
Le couple Tapie s'était pourvu en cassation, jugeant cette décision "tirée par les cheveux pour satisfaire à une volonté purement politique", selon une source proche du dossier.
Lors de l'audience mercredi devant la première chambre civile de la Cour de cassation, l'avocat général a préconisé le rejet de l'ensemble des pourvois formés par Bernard Tapie et ses sociétés.
Selon lui, la cour d'appel a "suffisamment motivé" son arrêt, employant des "termes forts" qui démontre "parfaitement la dissimulation" des liens entre Pierre Estoup et le clan Tapie, ce qui fait penser à un arbitrage "décidé, organisé et conduit dans le seul but, par fraude, d'obtenir le résultat escompté".
"Des années avant qu'il soit désigné comme arbitre, M. Estoup œuvrait déjà en coulisses pour faire avancer les thèses de l'homme d'affaires", a souligné de son côté Benoît Soltner, l'avocat du CDR, le consortium de réalisation chargé de gérer l'héritage du Crédit lyonnais.
- Arbitrage international ou interne? -
La défense de Bernard Tapie est à plusieurs reprises montée au créneau, qualifiant l'arrêt de "scandaleux" et de "révoltant". La cour d'appel s'est appuyée sur des pièces provenant d'"une enquête pénale toujours en cours et qui n'a pour le moment débouché sur aucune poursuite", a déploré Me Frédéric Thiriez.
Les juges d'instruction ont mis six personnes en examen pour escroquerie en bande organisée, dont M. Estoup, M. Tapie, Me Lantourne et le patron d'Orange Stéphane Richard, ex-directeur de cabinet de l'ancienne ministre Christine Lagarde à Bercy, mais n'ont pas encore achevé leurs investigations.
"Pour qu'il y ait fraude, il faudrait que M. Estoup ait corrompu les deux autres juges arbitres", Pierre Mazeaud et Jean-Denis Bredin. "Or ces derniers ne sont pas poursuivis", mais placés sous le statut de témoin assisté, intermédiaire entre celui de simple témoin et de mis en examen, a relevé Me Thiriez.
La Cour de cassation devra aussi trancher une autre question: l'arbitrage de 2008 doit-il être considéré comme "international", ce qui rendrait caduque la compétence de la cour d'appel de Paris et donc son arrêt du 17 février, ou "interne"?
La plus haute juridiction de l'ordre judiciaire se prononcera le 30 juin, une décision attendue mais qui ne mettra pas un terme à ce feuilleton politico-médiatique qui occupe les prétoires depuis plus de 20 ans.
La cour d'appel de Paris a, dans un autre arrêt rendu le 3 décembre, sommé l'ancien ministre de rembourser les 404 millions perçus. L'homme d'affaires s'est également pourvu en cassation contre cette décision, un volet qui sera examiné ultérieurement par la haute juridiction.
Quant à l'actuelle directrice générale du FMI, Christine Lagarde, elle a été renvoyée devant la Cour de justice de la République (CJR), seule instance habilitée à juger les ministres dans l'exercice de leur fonction. La Cour de cassation examinera le 1er juillet le recours de Mme Lagarde contre son renvoi devant la CJR.