par Silvia Aloisi et Sarah White
MILAN/PARIS (Reuters) - La crise du coronavirus pèsera sur le secteur du luxe pendant deux ans au moins, a estimé jeudi le directeur financier de Chanel, dont le chiffre d'affaires et les bénéfices seront, selon lui, significativement affectés en 2020.
"Nous nous attendons à ce que l'environnement extérieur continue à peser négativement sur le secteur du luxe au cours des 18 à 24 prochains mois", a déclaré Philippe Blondiaux à Reuters, jugeant qu'une reprise solide dans les pays où les boutiques du groupe ont rouvert ne compenserait pas le manque à gagner dû à la suspension des vols internationaux.
Chanel a fait état jeudi d'une croissance de 13%, sur une base comparable, de son chiffre d'affaires en 2019, à 12,3 milliards de dollars (10,96 milliards d'euros), et d'un résultat opérationnel en hausse de 16,6%.
Depuis la levée des mesures de confinement, 85% des magasins du groupe ont rouvert dans le monde. Selon Philippe Blondiaux, les ventes ont connu une croissance à trois chiffres en Chine et à deux chiffres à Paris, Milan et Berlin.
"Cette très bonne performance avec la clientèle locale sera insuffisante pour compenser l'absence de commerce international, de visiteurs étrangers et le fait que nos ventes hors taxes (...) soient encore dans une très large mesure inexistantes", a-t-il ajouté.
Le directeur financier de Chanel n'a pas donné d'évaluation précise de l'impact attendu de la crise sur le résultat et le chiffre d'affaires du groupe, qui prévoit cependant toujours de réaliser un bénéfice cette année.
D'après le cabinet de conseil Bain, le secteur du luxe, dont le chiffre d'affaires est évalué à 310 milliards de dollars, pourrait accuser cette année une baisse pouvant représenter jusqu'à 35% de ses ventes.
Pour atténuer en partie l'impact de la crise, Chanel a réduit de plus d'un quart ses dépenses publicitaires, ajusté sa production et annulé ou modifié l'organisation de certains événements, en les diffusant en ligne par exemple.
Deux défilés prévus d'ici la fin de l'année pourraient toutefois avoir lieu, a dit Chanel.
Chanel va en outre suspendre le versement du dividende cette année, dont le montant avait presque doublé en 2019. Les frères Alain et Gérard Wertheimer, propriétaires du groupe, en sont les principaux bénéficiaires.
Réagissant aux spéculations sur l'avenir du groupe, Philippe Blondiaux a déclaré qu'aucune modification n'était en vue et que le directeur général Alain Wertheimer, âgé de 71 ans, était en pleine forme. Il a également réaffirmé la volonté du groupe de rester indépendant.
"PAS L'INTENTION DE VENDRE EN LIGNE"
Sondé sur la stratégie, il a fait savoir qu'à la différence de ses concurrents qui se sont convertis au commerce sur internet, Chanel restait attaché à son modèle actuel de distribution, principalement axé sur son réseau de boutiques, où l'on peut offrir au client un service plus personnel et exclusif.
"Nous n'avons pas l'intention, crise ou pas, de vendre en ligne de la mode, des montres et de la haute joaillerie", a-t-il déclaré.
Le groupe commercialise cependant des cosmétiques, des parfums et de petits accessoires en ligne. Les ventes de ce canal de distribution ont augmenté de 60% depuis le début de l'année.
Interrogé par ailleurs sur les résultats publiés par le groupe ce jeudi, Philippe Blondiaux a estimé qu'ils témoignaient d'une transition "réussie" et "sans heurts" entre l'ancien directeur artistique Karl Lagerfeld, décédé en février 2019, et Virginie Viard qui lui a succédé. Le chiffre d'affaires de la collection de prêt-à-porter conçue par Virginie Viard a enregistré une croissance de 28%.
Fondé en 1910 par Coco Chanel, le groupe, mondialement connu pour ses sacs matelassés et son parfum N°5, ne publie que depuis deux ans ses résultats. Il figure parmi les toutes premières marques mondiales de luxe aux côtés de Louis Vuitton, propriété de LVMH (PA:LVMH), et Gucci, détenu par Kering (PA:PRTP).
(Version française Jean-Philippe Lefief et Claude Chendjou, édité par Bertrand Boucey et Jean-Michel Bélot)