par Andrés González et Arno Schuetze
MADRID/FRANCFORT (Reuters) - Le groupe espagnol Gas Natural pourrait bien avoir lancé ce qui pourrait représenter le plus vaste mouvement de consolidation dans le secteur des services collectifs depuis une décennie.
Son président, Isidro Fainé, est entré en contact avec son homologue du concurrent portugais EDP en vue d'une fusion à 35 milliards d'euros qui donnerait naissance au numéro quatre européen du secteur en termes de capitalisation boursière, a-t-on appris lundi de sources proches du dossier.
Bien que les deux groupes aient démenti mardi l'existence de négociations, banquiers et analystes estiment qu'un nouveau géant ibérique de l'énergie pourrait remettre en cause les positions d'EDF (PA:EDF) et de l'italien Enel (MI:ENEI) et ouvrir la voie à une vague de fusions et acquisitions (M&A) dans le secteur.
Ce besoin de consolidation trouve sa source en premier lieu dans la montée en puissance des énergies renouvelables: des sources d'énergie moins chères, dans l'éolien et le solaire, prennent une importance croissante en Europe et exercent une pression à la baisse sur les prix de l'électricité, ce qui menace les modèle traditionnels de génération et de distribution centralisées d'électricité produite par de grandes centrales au charbon, au gaz ou nucléaires.
Les grands acteurs historiques du secteur ripostent en se renforçant dans les énergies renouvelables et en proposant à leurs clients des moyens de surveiller de plus près leur consommation. Un banquier souligne que les acteurs du secteur doivent mettre au point une nouvelle stratégie, centrée sur les énergies renouvelables, les réseaux et les clients particuliers.
GAS NATURAL ET RWE (DE:RWEG) ONT ASSAINI LEUR BILAN
L'effet de taille aiderait les services collectifs à tirer le meilleur parti de cette période de transition, tandis que la perte imminente des subventions publiques et de l'accès privilégié aux réseaux d'électricité, qui ont protégé les revenus du secteur, jouent aussi en faveur d'une consolidation.
Cette nouvelle vague de fusions arrive après une phase difficile. Plusieurs sociétés du secteur ont dû passer de lourdes charges de dépréciation sur des acquisitions conclues il y a une dizaine d'années, peu avant que ne débute la remise en cause du modèle traditionnel de génération d'énergie, fondé pour une grande part sur le nucléaire.
Aujourd'hui, des groupes comme Gas Natural et l'allemand RWE ont nettoyé leur bilan et sont en mesure d'envisager des acquisitions ou des échanges de titres, selon des analystes.
"De nombreuses erreurs ont été commises lors des grandes opérations de fusion dans le passé. Tout le monde s'efforce d'éviter de nouveaux faux pas", dit un banquier spécialiste du secteur.
L'indice Stoxx des services collectifs dans la zone euro a perdu 60% de sa valeur en dix ans, mais il fortement rebondi depuis le début de cette année, soutenu par les arrêts de réacteurs d'EDF qui ont dopé les prix de l'électricité et par la décision allemande jugeant illégale la taxe sur le combustible nucléaire, ce qui a valu des remboursements à plusieurs producteurs.
Sur les six derniers mois, l'indice a repris plus de 15% alors que l'indice large Stoxx 600 ne progressait que de 7%.
"Le secteur arrive à un point où il peut remonter (en Bourse) après une décennie de destruction de valeur (...) La confiance quant à la capacité de génération de trésorerie durable dans le secteur des services collectifs pourrait croître", écrit Deutsche Bank (DE:DBKGn) dans une note de recherche.
L'ALLEMAGNE AU COEUR DU MOUVEMENT
Si l'Espagne a tiré la première salve, c'est l'Allemagne qui est au coeur des spéculations de fusions et acquisitions, après la scission par les chefs de file du secteur, E.ON (DE:EONGn) et RWE, de leurs activités d'énergies renouvelables et de distribution.
E.ON a conservé ses activités d'énergies renouvelables et placé ses centrales traditionnelle dans une société appelée Uniper. RWE, de son côté, a conservé ses centrales traditionnelles et placé son activité d'énergies "vertes" et son réseau de distribution dans une société appelée Innogy.
Mais avec une capitalisation d'environ 19 milliards d'euros chacun, E.ON et Innogy sont deux fois plus petits que les géants européens de l'énergie renouvelable du sud de l'Europe, Enel et Iberdrola (MC:IBE), dont les capitalisations s'élèvent respectivement à 56 milliards d'euros et 50 milliards.
Les groupes italien et espagnol ont entamé il y a dix ans déjà leur transition vers les énergies plus rentables, notamment le solaire, et vers les réseaux de transmission et de distribution.
Le mouvement s'accélère aussi en France où la directrice générale d'Engie (PA:ENGIE), Isabelle Kocher, pousse l'ex-GDF Suez (PA:SEVI) à se tourner davantage vers les réseaux et les énergies vertes. Des sources ont déclaré en mai à Reuters qu'Engie et RWE étudiaient avec leurs banques conseil respectives le scénario d'une alliance.
"Enel et Engie sont vraiment actifs, ils analysent tout. Les entreprises allemandes sont prêtes à orchestrer une fusion entre elles ou à être rachetées par un étranger", assure un banquier d'affaires spécialiste du secteur.
Enel a une capacité de production d'énergies renouvelables de 37 gigawatts (GW), dont 27,4 GW de centrales hydrauliques et 6,5 GW d'éoliennes. Innogy n'a qu'une capacité de production d'énergies renouvelables de 3,7 GW, essentiellement éolienne.
"TOUT LE MONDE PARLE AVEC TOUT LE MONDE"
"Tout le monde parle avec tout le monde. Mais il n'y a que quelques opérations qui aient vraiment du sens; Iberdrola-Innogy pourrait en faire partie. Mais l'enjeu porte surtout sur des cessions d'actifs de plus petite taille, de rationalisation dans une période de concurrence accrue et de pressions accrues sur les coûts", dit un banquier.
En France, Antoine Cahuzac, directeur exécutif d'EDF en charge des énergies renouvelables, a déclaré mercredi que la consolidation dans l'éolien se poursuivrait en France, à la veille de l'ouverture d'une offre de rachat des actions du spécialiste de l'éolien terrestre Futuren que le groupe ne détient pas encore.
"Le mouvement de consolidation ne va pas s'arrêter là", a-t-il dit, en évoquant le rachat de Quadran par Direct Energie (PA:DIREN) et de la Compagnie du Vent par Engie.
En Espagne, Iberdrola, numéro deux européen du secteur par la capitalisation boursière, étudie avec l'appui de la banque Morgan Stanley (NYSE:MS) des opportunités de croissance externe tandis que Gas Natural a pris Citigroup (NYSE:C) comme banquier conseil, selon des sources proches du dossier.
Enel a démenti à plusieurs reprise être intéressé par un rachat d'Innogy, soulignant que les grandes opérations détruisaient de la valeur. "Toutes cette spéculation sur des fusions et acquisitions en Europe, ce n'est que du cinéma", a-t-il déclaré à Reuters l'administrateur délégué de l'italien, Francesco Starace.
Des acquéreurs potentiels s'intéressent aussi à Uniper, notent des banquiers.
Le finlandais Fortum a fait savoir qu'il était intéressé par les actifs scandinaves du groupe allemand mais il pourrait hésiter à augmenter ses émissions de carbone en rachetant les centrales au charbon et au gaz d'Uniper, qui représentent l'essentiel des actifs de ce dernier.
Selon des sources bancaires, Uniper est également une cible pour ses concurrents tchèques CEZ et EPH, mais sa valorisation de 6,2 milliards d'euros, dopée par une hausse de 70% en Bourse depuis sa scission en septembre, pourrait refroidir les candidats éventuels à un rachat.
Au-delà des acteurs du secteur eux-mêmes, la demande d'actifs vient également de fonds spécialisés dans les infrastructures, de compagnies d'assurance et de fonds de pension.
(avec Geert de Clercq et Benjamin Mallet à Paris, Tom Käckenhoff à Dusseldorf; Juliette Rouillon pour le service français, édité par Marc Angrand)