PARIS (Reuters) - Six personnes sans domicile fixe sont décédées depuis samedi en France, victimes présumées de la vague de froid, une "sinistre litanie", selon la fondation Abbé Pierre, qui relance le débat sur le "mal-logement" dans le pays.
La première victime recensée, un SDF de 29 ans, a été retrouvé inanimée samedi dernier dans l'enceinte d'un lycée de Douai (Nord). Le jeune homme, qui avait décliné des offres d'hébergement selon la préfecture du Nord, est décédé des suites d'une hypothermie après son transfert à l'hôpital.
Un homme de 50 ans a été retrouvé en état d'hypothermie à Paris, dans le XIIe arrondissement, dimanche soir par les services de secours, a fait savoir mardi la municipalité. Il a succombé à un malaise cardiaque alors qu'on lui prodiguait les premiers soins, a-t-on précisé. Là encore, ce SDF n'avait pas sollicité l'aide du "115", le Samu social.
"Une personne sans domicile est morte ce dimanche à Paris, 'manifestement de froid', mais surtout d'être laissée dehors. Sinistre litanie", écrit la fondation Abbé Pierre sur Twitter.
En Seine-et-Marne, près de Paris, à Brie-Comte-Robert, deux SDF qui avaient vraisemblablement tenté d'allumer un feu dans un bâtiment désaffecté ont été retrouvés carbonisés, selon des associations d'aide aux sans domicile fixe.
Dans les Alpes-Maritimes, un SDF belge âgé d'une quarantaine d'années a été retrouvé mort dimanche à Mandelieu, a confirmé mardi la préfecture. Le décès serait lié au froid et à l'alcoolémie de la victime. Un autre sans abri d'origine belge a été retrouvé mort dans un chantier à Rodez (Aveyron).
HAUSSE DE 44% DES SDF
"On est en échec collectif, c'est une catastrophe", a déploré sur BFMTV Christophe Robert, délégué général adjoint de la Fondation Abbé Pierre.
"Le froid tue, mais l'indifférence aussi", a-t-il jugé, appelant à "une politique de logement qui soit en capacité de répondre à la diversité des besoins".
Jean-Baptiste Eyraud, porte-parole de Droit au logement (DAL), s'est ému du silence de la ministre du Logement, Sylvia Pinel.
"Il n'y a pas suffisamment de logements accessibles aux ménages modestes. (...) On a des enfants aujourd'hui qui dorment dans les rues", a-t-il dit sur iTELE.
La ministre des Affaires sociales, Marisol Touraine, a assuré que le gouvernement était "pleinement mobilisé" pour faire face à la situation. Selon elle, près de 6.000 nouvelles places ont été ouvertes depuis début novembre dans les centres d'hébergement, "qui seront pérennisées."
"Depuis quelques jours nous multiplions les ouvertures (...) d'urgence à Paris, à Lyon, dans beaucoup de villes pour accueillir dans les meilleures conditions possibles, même elles ne sont pas totalement satisfaisantes, les sans domicile fixe", a-t-elle dit sur BFMTV.
"Nous mobilisons aussi les associations, les acteurs de l'Etat, pour encourager les sans domicile fixe à rejoindre ces structures d'hébergement d'urgence, parce qu'on ne peut pas les contraindre", a-t-elle ajouté.
Sylvia Pinel a souligné de son côté que les ouvertures de places se faisaient dans le cadre d'"un travail très précis que nous faisons avec les préfets dans chaque territoire."
Interrogée sur le silence qui lui est reproché depuis le début de la vague de froid, la ministre du Logement a assuré qu'elle suivait de près la situation avec ses équipes et les services de l'Etat "pour augmenter les capacités d'hébergement dans les territoires les plus tendus."
Selon l'Insee, le nombre de SDF a augmenté de 44% en France en 11 ans. En 2012, 111.700 personnes sans domicile fixe, dont 31.000 enfants, étaient recensées dans les moyennes et grandes agglomérations, selon le "Portrait social de la France" publié en novembre par l'institut.
"ON MARCHE SUR LA TÊTE"
Regrettant des mesures ponctuelles de solidarité sans suivi sur le long terme, Jean-Baptiste Eyraud a rappelé que le droit au logement était codifié dans la loi.
"Cette politique d'hébergement coûte 1,3 milliard d'euros dont 170 millions sont consacrés à payer des chambres d'hôtel. On marche sur la tête dans notre pays!", a-t-il lancé.
"On fait de la solidarité à fond les gamelles parce qu'il fait froid et qu'il commence malheureusement à y avoir des hommes qui meurent de froid dans les rues. Ce qu'on demande, c'est que derrière on ne mette pas les gens dehors", a-t-il dit.
Les associations reprochent notamment aux pouvoirs publics un manque de places dans les structures d'hébergement d'urgence.
Les préfectures déclenchent le plan "Grand Froid", qui permet l'ouverture de places supplémentaires, en fonction des températures ressenties selon trois niveaux: d'une température positive dans la journée à entre zéro et -5°C la nuit jusqu'à une température négative le jour et inférieure à -10°C la nuit.
La municipalité de Paris précise avoir mis mille places supplémentaires à disposition en complément des 9.000 ouvertes toute l'année.
Selon le collectif "Les Morts de la rue", 454 sans-abris sont décédés en France en 2013.
(Sophie Louet et Yann Le Guernigou avec Matthias Galante à Nice, édité par Véronique Tison)