par Chine Labbé
PARIS (Reuters) - Christine Lagarde a assuré mardi avoir été "consternée" en juillet 2008 quand la sentence arbitrale favorable à Bernard Tapie a été rendue, notamment en raison d'un préjudice moral qu'elle n'avait pas validé, à hauteur de 45 millions d'euros.
Mais la directrice générale du Fonds monétaire international n'a pas semblé convaincre la Cour de justice de la République (CJR) qui la juge pour des négligences présumées dans la gestion de ce dossier, sa présidente estimant qu'une telle somme aurait dû lui faire l'effet d'un "coup de poing dans l'estomac".
Le 7 juillet 2008, alors que Christine Lagarde est ministre de l'Economie et des Finances, un arbitrage controversé accorde 403 millions d'euros, avec les intérêts, à l'homme d'affaires Bernard Tapie pour solder son litige avec l'ancienne banque publique Crédit lyonnais sur la revente d'Adidas (DE:ADSGN). Quarante-cinq millions lui sont alloués à titre de préjudice moral.
Pourtant, le compromis d'arbitrage qui avait été validé par la ministre des Finances, début octobre 2007, ne prévoyait pas une telle indemnisation.
Quand la sentence est prononcée, "ma réaction, c'est la consternation", a déclaré mardi Christine Lagarde, au deuxième jour de son procès. "J'ai été choquée, surprise, stupéfaite."
"Mais puisque vous n'avez jamais entendu parler de préjudice moral, pourquoi ne pas consulter vos services à ce sujet-là?", l'interroge alors la présidente de la Cour, Martine Ract Madoux.
FAIRE CESSER L'HÉMORRAGIE DES HONORAIRES
Et de souligner que le préjudice moral accordé à des parents pour la mort d'un enfant est de l'ordre de 30.000 à 50.000 euros, soit bien en deçà de celui accordé aux époux Tapie, cette somme échappant par ailleurs à l'impôt.
"C'est quand même un coup de poing dans l'estomac, ça doit vous faire réagir", insiste la présidente.
"Ça n'est pas le dossier unique sur lequel je consacre toute mon énergie et mon temps", tente d'expliquer la patronne du FMI. "C'est trop tard, la sentence est rendue", ajoute-t-elle.
Christine Lagarde réfute toute négligence dans la gestion de ce dossier, et dit avoir agi avec pour seul objectif l'intérêt général.
La commission d'instruction de la CJR lui reproche "une décision d'entrer en arbitrage mal préparée, mal encadrée, malvenue" et "allant à l'encontre de l'avis répété" de l'Agence des participations de l'Etat (APE). Elle lui fait également grief d'avoir renoncé de manière "précipitée" à exercer un recours contre l'arbitrage.
Quand elle a choisi, le 28 juillet 2008, de ne pas engager de recours contre une sentence "excessive à bien des égards", c'était pour faire "cesser l'hémorragie des honoraires" et "mettre un terme" à un contentieux vieux de 15 ans, a assuré mardi Christine Lagarde devant la Cour réservée aux anciens ministres, composée en majorité de parlementaires.
PAS DE DÉFIANCE ENVERS SON ÉQUIPE
"Attendre, faire durer les dossiers, ça n'a pas été ma pratique", a-t-elle ajouté, estimant avoir fait "la balance entre les avantages et les inconvénients".
Mais face à elle, la présidente de la CJR et des parlementaires s'étonnent qu'elle n'ait pas pris connaissance de certaines notes alarmistes de ses services, ni relu un communiqué "sensible" du ministère affirmant, de manière erronée, que "la plus grande part de l'indemnité arrêtée par la sentence retournera(it) aux caisses publiques". "C'est le mode de fonctionnement du cabinet", se contente-t-elle de répondre.
Lundi, au premier jour de son procès, la banquière du monde n'a pas exclu d'avoir été "abusée" dans cette affaire.
Le PDG d'Orange Stéphane Richard, qui était alors son directeur de cabinet, est soupçonné, dans le cadre de l'enquête principale sur l'arbitrage désormais entaché de soupçons de fraude, de lui avoir "dissimulé" des éléments "essentiels" du dossier, ce qu'il conteste. Il sera entendu mercredi matin.
"Je n'ai aucune raison à l'époque de remettre en cause la confiance que j'ai dans l'équipe avec (laquelle) je travaille", a déclaré Christine Lagarde. "Je ne sais pas travailler dans un rapport de défiance, j'espère que ça n'est pas de la négligence."
Pourtant, ses déclarations donnent "le sentiment profond (qu'elle) a été désinformée", estime une parlementaire. "Votre désinformation accable Stéphane Richard", ajoute-t-elle.
"Je ne sais pas s'il y a eu abus, et je ne sais pas quel est le périmètre de ceux qui ont été abusés", lui répond Christine Lagarde, avant d'ajouter : "Je n'ai reçu aucune instruction, ni du président de la République, ni du Premier ministre."
Mais à une sénatrice qui l'interroge sur l'éventualité qu'elle ait été choisie car elle venait du privé, et qu'elle pourrait donc privilégier la voie de l'arbitrage pour des questions d'efficacité, elle répond : "C'est très possible. Je ne me suis pas, à l'époque, posé la question du tout."
(édité par Yves Clarisse)