par Chine Labbé
PARIS (Reuters) - Pour Osman, cette énorme "bulle" gonflable blanche, jaune et grise, posée depuis trois semaines dans le nord de Paris, constitue une halte salutaire sur le chemin de l'exil.
Après une orientation dans ce "sas", ce Soudanais de 19 ans, passé par la Libye et l'Italie, sera logé quelques jours dans une "halle" de 400 places, où il partagera une cabane en bois avec trois autres demandeurs d'asile. Le temps que l'Etat lui trouve un hébergement plus pérenne.
C'est ici, dans le 18e arrondissement de Paris, qu'a ouvert le 10 novembre dernier le centre de premier accueil pour migrants voulu par la maire socialiste de Paris, Anne Hidalgo.
À quelques encablures des quartiers où se sont succédé ces 18 derniers mois des campements sauvages, donnant lieu à plus de 30 évacuations et 22.000 mises à l'abri, selon la mairie.
"L'objectif était d'éviter la reconstitution des campements de migrants et d'offrir un dispositif de premier accueil", explique Bruno Morel, directeur général d'Emmaüs Solidarité, qui gère le centre.
Un pari réussi, selon le maire du 18e arrondissement.
"Il n'existe plus de campements de personnes migrantes à Paris", assure Eric Lejoindre. "Il y a encore des hommes seuls qui dorment à la rue, mais pas de campements."
A deux kilomètres au sud de ce centre, dans le 19e arrondissement de Paris, plus de 3.800 migrants campaient encore récemment. Les tentes ont désormais disparu.
"Le dispositif parisien a amélioré la situation", confirme Pierre Henry, directeur général de France terre d'asile. "Mais il est trop tôt pour tirer un bilan. C'est une offre qui est nécessaire et souhaitable. Est-elle suffisante? Je ne le pense pas", ajoute-t-il, mettant en garde contre un possible report des campements vers la proche banlieue.
Au 24 novembre, 1.253 personnes s'étaient présentées dans la "bulle" d'accueil du centre parisien, posée sur le site d'anciens entrepôts de la SNCF. Des hommes surtout (1.000), mais aussi des femmes (24), des familles (une cinquantaine) et des mineurs isolés (160).
BESOIN D'APAISEMENT
Ici, les migrants sont orientés en fonction de leur profil : à gauche, les femmes, les familles et les mineurs, envoyés vers d'autres structures dans l'attente de l'ouverture d'un second centre en janvier à Ivry-sur-Seine (Val-de-Marne); à droite, les hommes seuls, qui pourront trouver refuge cinq à dix jours dans la "halle".
Là, les migrants vont et viennent entre leurs cabanes en bois, réparties en huit villages de 50 places. Certains dorment, d'autres boivent du thé. Un groupe d'Afghans regarde du football américain à la télévision.
"Par rapport à tous les parcours difficiles qu'ont eu ces personnes, on sent qu'il y a vraiment une réponse à un besoin d'apaisement", se réjouit Bruno Morel, qui espère désormais pouvoir les aider à "élaborer un projet".
C'est dans le village bleu, au rez-de-chaussée - chambre 2, lit 3 - qu'Osman déposera son sac à dos noir.
Cet ancien chercheur d'or, qui aspire à étudier les langues, a demandé l'asile à Marseille. Mais faute de logement sur place, il est venu à Paris, à la recherche de ce "centre humanitaire" dont l'existence commence à être connue parmi les migrants.
"Je suis arrivé dans ce centre après cinq jours passés dehors, près d'un pont", raconte-t-il en arabe.
Tala, l'une des 500 bénévoles du site, l'accompagne dans la halle. Là, l'un des 120 employés d'Emmaüs Solidarité lui donne des draps, une serviette, du dentifrice, un shampooing, une brosse à dents et quelques autres objets indispensables.
VOCATION À ESSAIMER
Un cadenas lui est également remis pour ranger ses effets personnels dans une armoire. Pour le reste, un "magasin", approvisionné via des collectes en mairie et le réseau Emmaüs, est à sa disposition.
Comme Osman, 700 hommes majeurs avaient été hébergés ici à la date du 24 novembre. Plus de la moitié (356) avaient été réorientés, à 75% vers des Centres d'accueil et d'orientation (CAO) en province.
Ce matin, un bus a emmené 20 demandeurs d'asile en Franche-Comté. A 14H, un nouveau bus doit en emmener 35 autres à Bobigny, en Seine-Saint-Denis.
"C'est un peu stressant, on se demande ce qu'on va trouver", dit Thierno, un Guinéen de 57 ans. "Je n'ai pas d'exigence", ajoute-t-il toutefois. "C'est un nouveau départ."
Comme à Calais, la plupart de ces individus sont éligibles à l'asile. Ils viennent d'Érythrée, de Somalie, du Soudan, et surtout d'Afghanistan, pour près de 40%.
La mairie de Paris craignait une saturation du dispositif durant les premiers jours. "Finalement, ça a été plutôt fluide", avec environ 85 arrivées par jour, se félicite Bruno Morel.
Certains migrants rencontrés par Reuters racontent s'être vu refuser l'accès faute de places, mais ils ont pu revenir le lendemain ou le surlendemain, assure Emmaüs Solidarité.
Les autorités espèrent que ce centre fera des émules, et que d'autres capitales de régions voudront s'en inspirer.
"C'est nécessaire que sur l'ensemble des chemins de l'immigration on trouve ce type d'équipement", estime Eric Lejoindre. "Si dans quelques mois, il n'y a plus de campements dans les rues, la fluidité est là, les personnes sont accueillies et bien accueillies, je pense qu'on pourra dire que ça a fonctionné. Alors ce sera un bon exemple à suivre."
(édité par Yves Clarisse)