PARIS (Reuters) - Edouard Philippe réunira la semaine prochaine les acteurs concernés par la réforme de la SNCF avant une refonte potentiellement explosive, inspirée d'un rapport remis jeudi qui suggère notamment l'extinction du statut de cheminot.
L'ancien PDG d'Air France (PA:AIRF), Jean-Cyril Spinetta, y fait 43 recommandations pour l'avenir du transport ferroviaire, fragilisé financièrement et confronté à d'importants défis avant l'ouverture à la concurrence.
"Trois milliards d'euros de déficit de financement chaque année, c'est un problème extrêmement concret et extrêmement lourd, qui appelle à l’évidence des décisions urgentes", a-t-il dit lors d'une conférence de presse.
"Le rapport démontre sans ambiguïté la nécessité et l’urgence d’engager sans tarder une refondation de notre système ferroviaire", a estimé quant à lui le Premier ministre.
Les syndicats CGT et Sud ont dit leur indignation et qu'ils mettraient "tout en oeuvre" pour empêcher une telle réforme.
Le rapport recommande d'examiner la pertinence de maintenir des lignes peu utilisées, d'envisager de ne plus embaucher sous le statut de cheminot et d'enrayer l'expansion des lignes TGV.
Il suggère d'autoriser la SNCF à recourir à des plans de départs volontaires, qui pourraient concerner 5.000 personnes.
Il recommande de redresser les finances par des mesures de compétitivité et des ajustements des péages, redevances et dividendes. Une transformation qui passerait par la transformation de SNCF Réseau en société nationale à capitaux publics, associée à une garantie qu'elle reste 100% publique.
TRANSFÉRER LA DETTE À L'ÉTAT
Pour donner de l'air à SNCF Réseau, il propose de transférer à l'Etat une partie de sa dette, qui s'élève à 46 milliards d'euros, soit plus de deux points de produit intérieur brut.
Il souligne cependant que ce transfert, qu'il soit fait d'un coup ou sur plusieurs années, s'ajouterait en totalité au déficit public l'année de cette décision, une gageure alors que la France vient de revenir sous la limite européenne de 3%.
Concernant la mise en concurrence, qui doit commencer en 2019 et s'achever au plus tard en 2023 pour les lignes subventionnées, selon un accord conclu au niveau européen, le rapport se penche sur la délicate question du transfert des personnels vers les nouveaux opérateurs.
Il propose de garantir le maintien de leur rémunération nette, de leur ancienneté et de droits spécifiques concernant la retraite, la garantie d'emploi et les facilités de circulation.
Les arbitrages du gouvernement seront intégrés au projet de loi mobilités, prévu pour avril, qui comportera d'autres chapitres importants comme les grands projets d'infrastructure.
Edouard Philippe a précisé qu'il recevrait la semaine prochaine la direction de la SNCF, les organisations syndicales représentatives, les régions, les usagers, l’établissement public de sécurité ferroviaire et l’autorité de régulation.
"Le gouvernement présentera ensuite les thèmes qui seront abordés et la méthode de concertation qui sera suivie", poursuit-il dans un communiqué.
Il promet qu'aucune décision sur le réseau ne sera prise sans "discussion étroite" avec les régions et les territoires.
Emmanuel Macron avait suscité l'émoi des syndicats de la SNCF l'été dernier en appelant l'entreprise à "se réinventer" en échange d'une reprise de sa dette par l'Etat, confirmant vouloir mettre fin à son régime spécial de retraite.
L'association Régions de France s'est déclarée "très préoccupée par l'avenir du réseau de proximité", Jean-Cyril Spinetta soulignant de son côté que seule la France disposait de milliers de kilomètres de lignes très peu fréquentées.
CGT ET SUD MENACENT
"On est aujourd'hui dans une situation qui confine à l'absurde", a-t-il dit. "Sur des réseaux extrêmement circulés, sur lesquels les besoins et la demande sont massifs, les investissements sont insuffisants (...), alors même que de l'argent est parfois dépensé sur des lignes qui sont infiniment moins circulées."
Le bilan carbone de nombre de ces lignes est "catastrophique" car les motrices fonctionnent au diesel et bien plus mauvais que celui du transport par car, a-t-il dit.
La fédération CGT des cheminots a dénoncé le rapport et "la politique anti-ferroviaire du gouvernement".
"Si d'aventure, le gouvernement décidait de reprendre ces mauvaises propositions et tentait le passage en force, la fédération CGT, avec les cheminotes et les cheminots, mettrait tout en oeuvre afin d'envisager un autre avenir pour le service public ferroviaire", ajoute le syndicat dans un communiqué.
Pour Sud-Rail, "à travers ces recommandations, c'est bel et bien la fin du service public ferroviaire de transport qui est sur les rails". "Si le gouvernement décidait de suivre cette voie, la fédération Sud-Rail appellera les cheminots et les autres organisations syndicales à se mobiliser fortement."
(Jean-Baptiste Vey, édité par Yves Clarisse)