par Andrei Makhovsky
MINSK (Reuters) - Alexandre Loukachenko, au pouvoir depuis 1994 en Biélorussie, a remporté dimanche un cinquième mandat en recueillant 83,5% des voix, a annoncé dimanche soir le président de la commission électorale centrale.
C'est un peu plus que les 80% obtenus à la précédente présidentielle, en 2010. Sa réélection avait alors provoqué des manifestations de masse et l'emprisonnement de plusieurs figures de l'opposition. Etant donné l'apathie ambiante dans la population et le désir ardent de stabilité face à une Russie offensive et une Ukraine en plein conflit séparatiste, peu d'observateurs s'attendent cette fois à un mouvement d'une même ampleur.
Des appels à manifester ont bien été lancés avant le scrutin, mais seules quelques centaines de personnes se sont déplacées, comme samedi à Minsk.
Aucun des trois candidats qui lui étaient opposés dimanche ne représentait quelque danger sérieux pour l'avenir politique de Loukachenko, et les personnalités de l'opposition avaient appelé au boycottage du scrutin.
Les pays occidentaux boudent de longue date ce dirigeant de 61 ans en raison de son gouvernement autoritaire, des violations des droits de l'homme et de la répression visant l'opposition, et ils maintiennent des sanctions économiques à l'encontre de certains responsables et de certaines entreprises biélorusses.
Cependant, les critiques que Loukachenko a adressées à Moscou après l'annexion de la Crimée en 2014, le fait qu'il ait accueilli des négociations de paix sur l'Ukraine et la grâce accordée en août à six dirigeants de l'opposition ont eu pour conséquence un rapprochement prudent entre Minsk d'une part, l'Union européenne et les Etats-Unis d'autre part.
"L'Occident aspire à la stabilité de la Biélorussie. Il veut la tenue d'élections exempte de troubles, qui puissent apporter des progrès en termes de démocratie et de droits de l'homme", déclarait avant le scrutin Iouri Tsarik, du Centre biélorusse de recherches stratégiques et politiques.
En votant dimanche, Loukachenko a déclaré que son gouvernement avait mis en oeuvre "tout que les Occidentaux voulaient avant ces élections". "S'il y a le désir à l'ouest d'améliorer nos relations, rien ni personne ne pourra s'y opposer", a poursuivi celui que Condoleezza Rice, alors secrétaire américaine d'Etat de l'administration de George W. Bush, qualifiait en 2005 de "dernier dictateur d'Europe".
VERS UNE LEVÉE DES SANCTIONS ?
"La balle est désormais fermement dans le camp des Occidentaux", a-t-il ajouté.
Si Moscou conserve une influence de taille à Minsk, ne serait-ce qu'en étant l'un de ses principaux créanciers, Loukachenko n'a pas manqué à l'occasion de manifester son esprit d'indépendance. Récemment, il a dénoncé les projets russes de se doter d'une base militaire en Biélorussie.
Le déroulement du scrutin doit donner lieu à un rapport des observateurs de l'Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE), attendu ce lundi.
A moins d'une nouvelle répression contre l'opposition, l'Union européenne devrait lever dans un délai de quatre mois les sanctions imposées à la Biélorussie, disaient vendredi des sources diplomatiques à Bruxelles.
Une telle décision serait la bienvenue pour la Biélorussie, dont l'économie a souffert cette année du recul du rouble russe sur le marché des changes: la Russie est un partenaire commercial clef. En outre, c'est en roubles que nombre de Biélorusses émigrés transfèrent de l'argent à destination leurs familles.
Le PIB biélorusse a reculé de 3,5% sur la période janvier-août et le salaire mensuel moyen a chuté d'un tiers en dollars depuis le début de l'année, à 420 dollars.
"La crise économique aurait dû conduire en toute logique à une chute du niveau de confiance (accordée à Loukachenko), mais la crise ukrainienne, qui a sérieusement effrayé la société biélorusse, a neutralisé ce facteur. Loukachenko s'est présenté en garant de la paix et de la sécurité, et cette image a fonctionné", explique Valéry Karbalevitch, auteur d'une biographie du président.
L'écrivaine biélorusse Svetlana Alexievitch, qui a obtenu jeudi le prix Nobel de littérature 2015, résumait en fin de semaine l'atmosphère de résignation qui prévaut au sein de l'opposition. "Je n'irai pas voter à cette élection parce que nous savons qui l'emportera", a dit l'auteure de "La fin de l'homme rouge", qui vit à Minsk aujourd'hui après avoir passé de nombreuses années en Europe de l'Ouest.
(avec Francesco Guarascio à Bruxelles; Henri-Pierre André et Eric Faye pour le service français)