L’annonce d’une normalisation des relations entre Israël et les Emirats arabes unis a fait l’effet d’un coup de tonnerre. Les Emirats sont le troisième pays arabe à reconnaître Israël, après L’Egypte et la Jordanie. D’autres monarchies du Golfe, comme Oman et Bahreïn, suivront bientôt le même chemin. C’est désormais une partie du monde arabe, et la plus riche, qui s’ouvre à Israël, première puissance technologique et militaire de la région. Un climat propice pour les échanges économiques et le business.
C’est un Donald Trump tout souriant, flanqué notamment de son gendre Jared Kushner, du secrétaire d’Etat au Trésor Steven Mnuchin et de l’ambassadeur US en Israël, David Friedman, qui a annoncé, depuis le Bureau ovale, la normalisation des relations entre Israël et les Emirats arabes unis. Celle-ci doit déboucher sur une reconnaissance diplomatique réciproque, qui sera signée dans trois semaines à Washington.
Donald Trump a des raisons d’être souriant. Alors qu’il accuse un retard de dix points dans les sondages face à son adversaire Joe Biden, en raison de sa gestion désastreuse de la pandémie, ce succès diplomatique de dernière minute est une bénédiction. Il lui permet de s’imposer en tant qu’artisan de la paix, même si ce sentiment est loin d’être partagé dans une grande partie du monde arabe ou musulman.
Cet accord constitue également un ballon d’oxygène pour Benjamin Netanyahou, poursuivi par des affaires de corruption, contesté dans les rues de Tel-Aviv et en désaccord avec Benny Gantz, son partenaire dans la coalition au pouvoir, sur la question du budget. Enfin, pour Mohammed ben Zayed, le prince héritier et homme fort des Emirats, le rapprochement avec Israël envoie un signal fort à plusieurs adversaires à la fois : l’Iran chiite ainsi que l’axe formé par le Qatar et la Turquie d’Erdogan, proches des Frères musulmans.
Chacune des parties se félicite de l’accord et le présente comme un win-win ! Sauf pour les Palestiniens, qui sont les grands perdants de l’affaire. Ceux-ci n’ont pas manqué de qualifier cet accord de jeu de dupes, Netanyahou ayant obtenu ce qu’il désirait – la reconnaissance de la part d’un pays arabe - sans rien abandonner sur le fond. Certes, il a dû renoncer provisoirement à l’annexion d’un tiers des territoires occupés. Mais pour lui, ce n’est que partie remise car il n’a nullement renoncé à étendre la souveraineté israélienne aux colonies de peuplement, pour autant que cela se fasse “en concertation avec les Etats-Unis”, a-t-il ajouté.
L’ennemi de mon ennemi est mon ami (et mieux si affinités)
Une chose est sûre : le processus de paix, déjà moribond, est définitivement enterré et le plan de paix du roi saoudien Abdallah, qui promettait la reconnaissance du monde arabe en échange de la création d’un Etat palestinien, est jeté aux oubliettes. La carte de la région est en train de changer et certains pays du Golfe, lassés de la question palestinienne, veulent désormais tourner la page. D’autres priorités sont bien plus urgentes que le sort des Palestiniens, une situation dans l’impasse depuis plus de 70 ans. Pour les monarchies du Golfe, prospères mais très vulnérables, l’Iran représente une bien plus grande menace qu’Israël. Ils redoutent son expansionnisme, qui s’étend au Yemen, en Irak, en Syrie et au Liban. Israël étant l’ennemi juré de l’Iran et vice-versa, ils préfèrent se tourner vers la seule puissance régionale capable de s’opposer à l’ambition hégémonique iranienne.
Ce rapprochement stratégique est d’autant plus nécessaire que des incertitudes se font jour quant à la sincérité de l’engagement américain dans la région. Le Moyen-Orient est devenu un enjeu moins vital aux yeux des Américains depuis qu’ils exploitent massivement le schiste bitumineux sur leur territoire et dépendent moins du pétrole arabe. Quant à la tendance au repli isolationniste de l’administration Trump, elle n’est pas faite pour rassurer les monarchies pétrolières.
La convergence d’intérêts entre Israël et certaines monarchies du Golfe ne surgit pas de nulle part et ne s’est pas bâtie sur le vide. Cela fait des années que des contacts ont lieu officieusement et que ces pays procèdent à des échanges d’informations dans le domaine de la sécurité extérieure et intérieure. NSO Group et Verint Systems, deux sociétés spécialisées dans la cybersécurité basées à Herzliya auraient été sollicitées par les Emirats pour les aider à surveiller les terroristes et les dissidents politiques. Autre signe qui ne trompe pas : on apprenait en juillet que le Groupe 42, une société spécialisée dans le Cloud Computing et l’Intelligence artificielle basée à Abou Dhabi et les entreprises israélienne Rafael Advanced Defense Systems et Israel Aerospace Industries avaient signé un accord de coopération. Officiellement, pour lutter contre la pandémie, en promouvant le développement de solutions médicales.
Des économies complémentaires
Les deux pays ont, bien sûr, tout à gagner d’un renforcement de leurs relations. Les Emirats arabes unis ont un PIB avoisinant les 400 milliards de dollars et ils importent pour 250 milliards de biens. Israël possède un PIB du même ordre mais un PIB par habitant plus élevé. Relativement diversifiée, l’économie des Emirats ne dépend que pour un tiers de ses revenus pétroliers. Comme la plupart des pays avancés, elle un grand besoin de technologies pour assurer son développement et sachant qu’Israël est la puissance technologique incontestée de la région, les deux pays sont faits pour s’entendre.
Ils sont d’autant plus complémentaires, que de son côté, Israël cherche à diversifier ses approvisionnements pétroliers. Pour l’heure, Israël se fournit en pétrole auprès des Kurdes irakiens et celui-ci transite par la Turquie. Erdogan n’étant pas en très bons termes avec Israël, il y a toujours un risque qu’il ferme le robinet en fonction de son humeur du jour. Le pétrole fourni par Adnoc, la compagnie nationale émirati serait donc une excellente alternative pour Israël et une bonne opportunité pour les Emirats, qui gagneront un client dont les besoins s’élèvent à 240.000 barils/jour.
Certains vont plus loin et évoquent la possibilité que l’Arabie saoudite investisse dans l’entreprise publique israélienne Eilat-Ashkelon Pipeline Co, qui exploite le pipeline reliant la mer Rouge à la Méditerranée, sans passer par le canal de Suez (PA:SEVI). Mais peut-être s’agit-il d’une rumeur sans fondement.
Des projets en développement
Un projet industriel plus concret, c’est la “joint-venture” conclue entre DP World basée à Dubaï, troisième société maritime dans le monde et la société israélienne Zim Integrated Shipping Services, avec pour objectif d’effectuer des investissements dans le domaine du transport maritime en Asie, Afrique et Amérique latine.
Un autre créneau porteur est celui du tourisme. Les Emirats sont un hub touristique important : 17 millions de voyageurs y séjournent chaque année. Dès que les vols aériens directs entre les deux pays - via Emirates, Etihad ou El Al, - entreront en service, les Israéliens fortunés auront le loisir faire escale à Dubaï ou de visiter la fameuse île des musées de Saadiyat à Abou Dhabi. Sur cette dernière, un temple dédié aux trois grandes religions abrahamiques est en construction. En 2021, ils pourront également visiter le pavillon israélien à la Dubai World Expo 2020, reportée à cause de la pandémie. De leur côté, les Emiratis pourront se rendre à l’esplanade des mosquées à Jérusalem, troisième lieu saint de l’islam. Des projets d’infrastructure à Jésusalem-Etst sont déjà envisagés pour les accueillir.
Nul doute que des opportunités se feront jour dans des domaines aussi divers que la désalinisation, l’agriculture de pointe, les énergies renouvelables, les startups informatiques ou le secteur médical (de riches Arabes du Golfe venaient déjà se faire soigner dans les hôpitaux israéliens).
Elle est loin l’époque ou la Ligue arabe prononçait un boycott général contre Israël et mettait à l’index plus de 8500 entreprises ayant des relations commerciales avec l’Etat hébreu. Même si la paix véritable n’est pas pour demain dans une région meurtrie par les conflits de toute nature, l’ouverture des frontières et l’établissement de relations économiques ont toujours été un moyen de rapprocher les peuples.