Publié à l'origine sur la Bourse au quotidien.fr
Le CAC40 avait enchainé 8 gaps à la hausse entre le 15 mai et le 5 juin. Un mois plus tard, il en aligne 2 à la baisse à 2 séances d’intervalle (testant l’ex-sommet des 4 700 points).
Le marché était monté par l’ascenseur, sautant plusieurs étages à la fois… serait-il en train de sauter par la fenêtre ?
La volatilité a fait son grand retour la semaine passée alors que les 10% de gains de la semaine précédente avait alimenté un narratif “ultra bull” tentant de justifier a posteriori un scénario boursier tellement improbable qu’il est sans précédent dans l’histoire des marchés.
Parmi les affirmations les plus audacieuses, nous avons relevé :
– ce sera finalement une reprise en “V”, Wall Street avait écarté l’hypothèse mais la hausse des actions dément cette trop grande prudence
-les valorisations record ne doivent pas dissuader d’acheter des actions puisque les banques centrales promettent des taux zéro durant au moins 2 ans ½ : durant cette période, l’obligataire ne rapportera rien, voire moins que rien si la FED adopte les taux négatifs.
-le “TINA” (« There Is No Alternative ») en faveur des actions va continuer de s’imposer pour les gérants puisque l’inverse de zéro rendement sur les placements “sans risque”, c’est l’infini (le PER des actions étant en pratique l’inverse des revenus des Bons du Trésor).
-les +50% du Nasdaq100 en 11 semaines (culmination le mardi 9 juin à plus de10 000) étaient certes sans précédent mais le déploiement de moyens (QE + plans de soutien) est également sans précédent et dépasse les 20% du PIB américain face à une récession estimée entre -7,5 et -9% aux Etats-Unis : il y a donc 10% de liquidités en excédent.
-c’est un nouveau paradigme économique… cette fois-ci, c’est “vraiment différent”. Et nous en sommes pour une fois d’accord puisque les banques centrales ont franchi toutes les lignes rouges tracées par leur mandat.
-les Banques Centrales ont aboli l’économie de marché et administrent ouvertement la valeur des actifs, sans horizon de temps, au nom d’une vision mécaniste mais également enivrée par leur toute puissance, en l’absence d’un quelconque contre-pouvoir (politique, universitaire, populaire…).
Quand la bulle devient la règle
Si les “marchés” ne produisent plus que des “prix” et ne déterminent aucune valeur, alors plus rien n’a de sens et il n’est même plus question de la formation spontanée d’une bulle pouvant caractériser une dérive liée à une surliquidité : la bulle devient le mode de fonctionnement du système, et “des survalorisations extrêmes” ne constituent plus l’exception mais la norme quotidienne.
Des corrections comme celles du 6 mars ou du jeudi 11 juin sont de simples accidents, de magnifiques occasions de renforcer les positions et d’accroître son “exposition au risque”… car par un vertigineux retournement de sens, le principal risque pour un investisseur est de ne pas participer au gonflement de la bulle.
La volatilité ne constitue plus un signal d’alarme invitant à sortir du marché, elle devient au contraire le coup de sifflet qui marque l’entame d’un rallye haussier.
Tout ce qui précède a été parfaitement intégré par les “traders Robinhood” (du nom d’un broker qui fait cadeau des frais de transactions aux traders individuels et met à leur disposition toutes les facilités pour intervenir avec le maximum de “levier”).
Par extension, le terme “Robinhood” (« Robin des bois ») s’applique à tous les boursicoteurs (souvent adeptes des jeux en ligne -Poker ou paris sportifs- ou fans du Bitcoin) qui se targuent de tout ignorer des valeurs qu’ils négocient, ou -inversement- de partager avec ferveur les convictions d’une communauté qui relèvent davantage de la foi que d’une analyse rationnelle.
Illustration avec les 3 “actifs” les plus travaillés en juin :
-Tesla avec un cours de 1 000$ pour un PER de 250.
-le Bitcoin, qui n’a aucune valeur “fondamentale” mais qui est apprécié pour sa volatilité.
-les compagnies aériennes qui n’anticipent aucun retour aux profits avant 2023 dans le meilleur des cas :
Ces dernières ont affiché les principales hausses de la semaine du 1er au 7 juin puis celles du vendredi 12 : +19% sur United Airlines, +16,5% pour American Airlines, Delta +11,9%, Southwest Airlines +9,3%…
Au bout de 3 mois de “trend following” qui “gagne à tous les coups”, la sélection des actifs préférés des investisseurs ayant ouvert un compte chez Robinhood -et chez la plupart des “brokers on line”- trahit un glissement massif des valeurs offrant un rendement (adossé à un business pérenne) vers les plus spéculatives qui n’en délivrent aucun : soit les valeurs qui illustrent la thématique du “stay at home” (les FANGMAN qui délivrent moins de 0,5% de rendement), soit les entreprises provisoirement sauvées de la faillite.
Pour résumer, la hausse du “marché” repose désormais sur des banques centrales enivrées de leur toute puissance et des traders “Robin des Bois”, lesquels symbolisent un mélange d’ignorance, de suivi de tendance, d’excès de confiance en soi et de prise de risque maximum… encouragée par la FED et la BCE.
La boucle est bouclée et sa plus évidente expression géométrique est… la bulle.
Ou le “0” qui coïncide avec le rez-de-chaussée dans le cas de l’ascenseur (pour le CAC40, il s’agit de 3 750).