La patience est, certes, une remarquable vertu, mais là... il faut vraiment posséder celle d'un caméléon à l'affut et attendant qu'un appétissant insecte se pose à proximité de sa langue extensible !
La BCE : sans elle, ce serait pire (ou pas)
Les investisseurs disent attendre que la BCE communique ce jeudi mais affirment que c'est une réunion sans enjeu. Laquelle devrait être mise à profit par Mario Draghi pour se délivrer un nouvel auto-satisfécit, au prétexte que, si la situation n'empire pas, c'est que sa stratégie fonctionne. Sinon, ce serait pire, puisqu'on serait en déflation et qu'il pleuvrait des sauterelles sur Francfort.
Tout ce qui importe, c'est que la BCE ne referme pas brutalement le robinet des liquidités en mars 2017. Mais comme Mario réaffirme à chaque réunion que le QE peut être étendu dans le temps, cela n'euphorise plus personne depuis des mois.
Le fantôme du marché
Le "marché" ne semble plus savoir quoi penser et, en effet, même les cours ne parviennent plus à penser à la place des opérateurs.
C'est le fameux principe de la "queue qui remue le chien".
Si les cours montent, c'est que le marché a flairé une nouvelle intervention de la BCE. Car le cours des actifs, ce sont les banques centrales qui le déterminent !
Le prétendu marché ne devine plus la juste valeur d'un actif (ou tout du moins celle qui convient au plus grand nombre) depuis bien longtemps.
A tel point qu'un tiers des opérateurs n'a jamais connu des marchés fonctionnant de façon autonome, sans béquille monétaire, sans interventionnisme permanent, sans camisole algorithmique.
Un indice parisien sans tendance
La stagnation du CAC 40 de part et d'autre des 4 444 points depuis le 4 janvier et celle de l'Euro Stoxx 50 autour de 3 050 constituent-elles le symptôme que les banques centrales ne sont plus capable d'impulser une tendance ?
Leur combat ne consiste-t-il pas, depuis le Brexit, à juste interdire l'émergence d'une vague de consolidation ?
Jamais les acheteurs particuliers ou institutionnels n'ont pris le relai depuis la mi-février. La BCE et la BoJ sont désormais seules à la manoeuvre, seules face au "marché".
La preuve en est édifiante, incontestable, désespérante. Cela fait 31 semaines que les actions libellées en euro (constitutives de l'Euro Stoxx 600) enregistrent des désengagements.
Les vendeurs, investisseurs, particuliers et institutionnels (fonds de retraite, OPCVM, "family offices"...), ont liquidité pour 92 Mds€ dans l'intervalle (depuis la mi-février).
Oui, 31 semaines que les ventes excèdent les achats ! Encore -1 Md€ la semaine passée... C'est symbolique, mais surtout paradoxal, puisque la performance hebdo a été positive.
Combien de temps vont se poursuivre ces "allègements opportunistes" sans que cela ne pèse jamais sur les cours ? Est-ce le rôle d'une banque centrale d'acheter le CAC 40 ou l'Euro Stoxx 50 ?
Super Mario fait-il son marché ?
Bien entendu, c'est une image. Mario Draghi ne fait pas sa liste de valeurs et d'ETF à ramasser en priorité tous les matins pour soutenir tel ou tel indice boursier... mais en asséchant le marché obligataire, il ne laisse pas d'autre alternative aux gérants que d'acheter des dettes de plus en plus risquées (high yield) et "illiquides" ou des actions.
Vous connaissez le mantra depuis 8 ans : "Elles sont bon marché avec des taux zéro et offrent un meilleur rendement que la plupart des instruments obligataires disponibles".
Chaque matin, la Fed vient rafler, avec son grand panier, tous les croissants et les brioches (emprunts d'Etat et dette corporate triple-A) posés sur le buffet du petit-déjeuner, ne laissant que de morceaux de baguettes (actions du CAC 40) ou des biscottes (dettes "Junk").
Et devinez ce que les gérants ramènent à leur table avec un petit peu de beurre et de confiture (QE et taux zéro) pour rendre le tout moins sec et moins insipide ?
Pour filer la métaphore, si le marché est sec comme une biscotte, il faut faire preuve de beaucoup de doigté et de délicatesse pour ne pas le briser en y étalant beurre et confiture. Sans quoi il tombe en miettes, et les petits morceaux atterrissent toujours au sol côté confiture.
J'ai un peu le sentiment que si les indices boursiers dérivent à l'horizontal depuis neuf à dix mois, c'est parce que personne ne veut prendre le risque qu'une manipulation trop brutale ne provoque des fissures. Cependant, à force de passer et repasser avec 1 000 précautions le couteau (qui pèse 80 Mds€ chaque mois), la biscotte s'effrite et devient de plus en plus fragile.
A un moment, elle finira par se briser toute seule, avec ou sans le beurre du QE.