Publié à l'origine sur la Bourse au quotidien.fr
Les indices boursiers progressent depuis 1 mois, avec une vigueur qui suscite un réel étonnement à Wall Street, de manière plus laborieuse et limitée en Europe et en Asie.
Ils progressent surtout à contre-courant de l’évolution des prix pétroliers et des matières premières en général (depuis le 9 avril) puis des marchés obligataires, avec une aversion au risque particulièrement marquée sur les dettes “périphériques” depuis le 17 avril.
Ceci reflète des inquiétudes relatives à la réactivité des pays de l’UE face aux conséquences très concrètes de la crise sur les entreprises et les finances publiques.
Ce sont désormais les banques de ces pays “mal notés” qui font face à un déferlement de créances douteuses ou en défaut avéré.
Elles vont donc à leur tour avoir besoin d’un soutien accru des Etats, ce qui plombera encore plus leurs déficits… ou alors de la BCE.
Hier, cette dernière s’est autorisée l’impensable aux yeux de la Bundesbank, des banques centrales néerlandaise et finlandaise : A l’issue d’une réunion extraordinaire et non inscrite à son agenda, la BCE a décidé d’assouplir -de sa propre initiative et sans amendement de ses statuts- ses propres règles en matière d’éligibilité des “collatéraux” en échange d’argent frais pour les banques.
Elle acceptera désormais de prendre en pension des dettes “high yield“ alors que ses statuts ne lui permettaient jusqu’ici que d’accepter en garantie des émissions allant de “AAA” à la catégorie “A”, c’est à dire classées “investment grade“.
La BCE va même très loin dans sa “mansuétude” puisqu’elle va également accepter comme collatéral des émissions initialement notées BBB qui se retrouveraient dégradées de 2 crans en dessous de la limite supérieure de la catégorie “high yield” (BB et B) après la date du 23 avril : il s’agit donc de dettes passées en catégorie “speculative“, et définies plus crûment comme des “junk bonds“.
On voyait pourtant mal l’Allemagne et la Finlande permettre à la BCE de gonfler son bilan avec des créances pourries : il va falloir suivre de près la réaction de ces pays.
Un fonds de soutien européen de 300 Mds€
Mais ceci ne suffira probablement pas pour éviter une poursuite de la dégradation des dettes “périphériques” : le sauvetage de l’euro -car c’est de cela qu’il s’agit et Bruno Le Maire l’a clairement évoqué il y a 2 semaines– passe par une entente entre les pays de l’Eurozone pour mutualiser le risque associé aux dettes des pays en difficulté.
Pour l’heure, il n’est question que d’un fonds de soutien de 300 Mds€ (pouvant être porté à 600 Mds€)… mais cela pourrait prendre des semaines avant de parvenir à un laborieux compromis, ce qui signifie que la BCE se retrouve bien en position de “dernière ligne de défense”, contrairement aux dénégations maladroites de Christine Lagarde il y a 1 mois.
Quel contraste avec les Etats-Unis qui ont déjà adopté un plan de soutien de 2 000 Mds$ il y a 3 semaines… et comme l’enveloppe de prêts aux PME de 350 Mds$ étant déjà épuisée, une rallonge de 360 Mds$ a déjà été votée mardi soir (21 avril).
Ces 360 Mds$ s’inscrivent dans un nouveau plan de soutien de 480 Mds$ (dont 100 Mds$ pour les hôpitaux et +20 Mds$ pour les vaccins) adopté mardi soir dont Larry Kudlow se félicite. Il se réjouit également que de nombreux Etats commencent à relancer leur activité, écartant l’objection d’un redémarrage prématuré alors que la pandémie n’a peut-être pas encore atteint son pic aux Etats Unis.
Le conseiller économique de Donald Trump espère par ailleurs que les salariés retournant progressivement au travail et les usines recommençant à tourner, les surplus pétroliers (et d’essence) vont commencer à être mieux absorbés… ce qui relève du “wishful thinking“, voir de l’aveuglement militant : les conditions d’une réédition du récent krach du WTI sont plus que jamais d’actualité, avec 11 à 11,5 millions de barils extraits par jour, plus une vingtaine de millions de barils importés par tankers qui se retrouvent coincés en pleine mer dans l’impossibilité de décharger leur cargaison, faute de capacités de stockage sur le sol américain.
La FED et la BCE savent certes éponger des “junk bonds“… mais elles ne savent pas imprimer des cuves, des réservoirs souterrains, des pipe-lines pour éviter une réédition du krach des 20 et 21 avril: le virtuel risque de se fracasser à nouveau sur le réel.