Publié à l'origine sur la Bourse au quotidien.fr
Quand cette question fuse des salles de marché aux salles de rédaction, de la 5e avenue à la Maison Blanche, alors vous pouvez être absolument certains que Wall Street, la City, les adhérents de NYSE-Euronext puis tous les traders du Proche, Moyen ou Extrême-Orient ne sont pas confrontés à une correction boursière mais bien à un krach dans la même veine que 1987, 2001 ou 2008.
Avec cette différence majeure : jamais autant de valeur boursière n’avait été détruite en si peu de temps, en 12 séances de repli (sur les 15 dernières), pour être exact.
Et ces 12 séances ont suffi à ramener de nombreux indices 12 mois en arrière, voir 14 mois pour le Dow Jones ou le S&P500, qui retrouvent leurs niveaux du tout début janvier 2019.
Il s’agit en fait d’une volatilisation de la totalité des gains accumulés à contre-courant de la croissance économique, des profits des entreprises, du Baltic Dry Index et du panier des principales matières premières industrielles… et de l’or.
Mais précisons que certains acheteurs l’ont fait à titre de couverture, quand la majorité se sont contentés d’observer l’effondrement des rendements obligataires. En effet, face à des dettes souveraines qui ne rapportent rien – et même moins que rien dans la plupart des pays du nord de l’Europe –, l’or conserve en effet mieux la valeur que du 10 ans allemand, néerlandais ou danois… ou même des OAT françaises avec jusqu’à -0,43% de rendement le 9 mars en pleine débâcle boursière.
Constatant l’ampleur du jeu de massacre sur les actions, les achats d’or sont désormais motivés par l’anticipation d’interventions de plus en plus massives des banques centrales. Il n’aura pas fallu plus d’une semaine pour la FED étende son repo quotidien. D’abord de 100 Mds$ à 150 Mds$, puis à 175 Mds$ ce mercredi 10 mars… et tout le monde se demande si cela sera suffisant.
10 000 Mds$ de capitalisation disparus
A quelques heures de cette annonce, les opérateurs se demandaient en effet ce que ferait la FED d’ici la fin avril, étant donné que les premiers résultats trimestriels vont paraître d’ici maintenant quatre semaines.
Et quatre semaines, c’est très long, quand on constate ce qui a déjà été perdu en l’espace des deux dernières. Plus de 10 000Mds$ de capitalisation boursière (c’est plus d’argent que le krach de fin octobre 1987 ou de celui de Lehman Brothers) ont ainsi disparu dans la chute.
Plusieurs choses ont contribué à désintégrer les 4,5% regagnés mardi soir à Wall Street. Déjà, le patron de l’OMS déclarait que le Covid-19 est bien une pandémie planétaire. Une annonce plus que suffisante pour relancer les plus sombres prévisions sur l’activité mondiale alors que chaque jour qui passe se solde par une quasi extinction de l’activité économique. Les voyants s’éteignent les uns après les autres.
La séance mercredi s’est donc soldée par un nouveau « bain de sang » à Wall Street, avec de nombreux écarts supérieurs à -15% et même -20% sur des poids lourds du Dow et du S&P. Boeing (NYSE:BA) obtient un très impressionnant -18,3%, ce qui cause à sa capitalisation d’être divisée par deux en 6 mois, tandis que sa dette dépasse 28 Mds$.
Boeing a naturellement pesé sur le Dow Jones qui en terminait à -5,85% à 23 553 points. Cela représente 1 465 points perdus, contre 1 690 au plus bas, touché une grosse heure avant la clôture. La journée prend donc la deuxième place sur le podium des plus lourds totaux de points perdus sur le Dow.
Sur le reste du marché, le S&P chutait de 4,9% à 2 741, le Nasdaq de 4,7%, et n’oublions pas le très impressionnant Russel-2000 avec une perte de 6,4%, à 1 265 points.
Les indices US reculent déjà de 8% depuis lundi et plus personne n’ose prédire à quel niveau la débâcle va s’arrêter.
Les dettes corporate en danger de défaut
Trump, depuis la Maison Blanche, a voulu rester positif, mais manifestement sans convaincre. Il affirme que le problème de la crise du coronavirus va être résolu, qu’un gros effort sera fait pour les petites entreprises, et que la priorité N°1 est la santé du pays.
Tiens, une fois encore, il ne voit dans cette crise que l’aspect financier puisqu’il n’a pas employé l’expression « santé des américains ».
Selon lui, le pays n’aura pas besoin de stimulus s’il veut se sortir de la crise rapidement. Si c’est dans trois mois, les dégâts boursiers auront eu le temps d’atteindre des niveaux jamais approchés.
Beaucoup plus prudent sur les retombées de la crise, Mohamed El-Erian (stratège obligataire chez Allianz (DE:ALVG)) conseille aux investisseurs long terme de « patienter encore avant de faire travailler leur argent » et redoute que les marchés induisent un comportement de défiance par rapport à l’avenir.
Il souligne en particulier que la masse de crédit fragile de type « BBB » et « high yield » (deux derniers créneaux avant la qualification de « junk », ou dette pourrie) parmi les dettes corporate est considérable, mais aussi que le risque de dégradation de ces dettes est très préoccupante, la contrepartie acheteuse étant quasi inexistante. Il considère par ailleurs le secteur du crédit non bancaire comme également « à risque ».
Le secteur des valeurs financières est naturellement très exposé en cas de basculement massif du « BBB » vers le « high yield » (et de ce dernier vers la catégorie « junk »).
La guerre des prix sur le pétrole s’amplifie
Un krach obligataire risque aussi – à court ou moyen terme – de frapper le secteur des valeurs pétrolières et para-pétrolières. Le pétrole a rechuté de plus de 8% vers 30,7$ hier suite à la forte hausse des stocks hebdomadaires de pétrole US qui font un bond d’environ 7,7 millions de barils, selon l’EIA, à 451,8 millions de barils, ce qui déjoue l’anticipation d’une hausse de l’ordre de 2,3 millions de barils.
Après l’Arabie saoudite, les Emirats menacent à leur tour de s’engager dans une guerre des prix consistant à brader leur pétrole.
Dans un tel contexte, Christine Lagarde a aujourd’hui tout intérêt à sortir de son attitude de « chouette vigilante » pour passer à l’élimination des terreurs nocturnes qui s’emparent des marchés. Si elle échoue, dans sa conférence de presse qui suivra la réunion de la BCE, ce sera « game over » pour les marchés.
Car les marchés vivent dans la croyance aveugle que les banques centrales savent ce qu’elles font et où elles vont depuis 12 ans.
Mais elles n’ont fait qu’encourager l’achat de la croissance à crédit et la constitution de leviers spéculatifs sur l’ensemble des actifs qui servent de sous-jacent à des dérivés (ETF).
Ces produits ne sont pas seulement volatils et exotiques, mais leur liquidité peut disparaître du jour au lendemain, contraignant les opérateurs à vendre à tout prix ce qui fait encore relativement l’objet de transactions.