Entre 2008 et 2010, la société pharmaceutique israélienne voyait son rating amélioré plusieurs fois et confirmait son statut d'émetteur obligataire de bonne qualité. Depuis lors, sa situation s'est dégradée et la dette de Teva (NYSE:TEVA) appartient à la catégorie des investissements spéculatifs. La prime de risque que les investisseurs exigent désormais pour lui prêter de l'argent a quadruplé. Explications
Rétroactes
Depuis 2016, Teva n'est plus considéré comme un émetteur de bonne qualité mais comme un émetteur de qualité spéculative. A cette époque la prime de risque exigée par les investisseurs, c'est-à-dire l'écart de rendement par rapport aux placements sans risque, s'élevait à 1,4%. Elle atteint actuellement plus de 5%.
L'action a quant à elle perdu 80% de sa valeur en cinq ans et pas loin de 60% en un an. En cause, une dégradation de la situation financière de l'entreprise que vient fragiliser encore plus la crise américaine des opioïdes.
En cette même année 2016, Teva, n°1 mondial des médicaments génériques, également actif dans la pharmacie de spécialités, fait l'acquisition d’Actavis, la division générique d’Allergan. La société israélienne veut renforcer sa position sur ce marché prometteur. Montant de la transaction : 40 milliards de dollars. Financée à près de 90% par de l’endettement, cette acquisition va pourtant peser sur l’avenir de la société.
L'année 2017 démarre positivement pour Teva : l'acquisition d'Actavis délivre ses promesses en faisant croître le chiffre d’affaires de Teva. La société se déleste aussi d'actifs non stratégiques en vue de réduire son endettement. Le ciel s'obscurcit toutefois car le management craint une évolution plus concurrentielle du marché des génériques aux États-Unis. Par ailleurs, la situation politique et économique au Venezuela devient inquiétante.
Ces craintes seront fondées : dès le deuxième trimestre de l'année, Teva acte une réduction de valeur sur Actavis qu'elle vient d'acquérir car la concurrence fait fortement baisser les prix des génériques. Dans la foulée, Teva prend des mesures drastiques : elle réduit son dividende de 75%, annonce des réductions de coûts et le licenciement de près de 10.000 personnes. Elle se défait aussi d’une quinzaine de sites de production à l’étranger.
Mais ces mesures ne convainquent pas : le titre chute fortement en bourse et en parallèle le rating de la société est à nouveau dégradé par l’agence Moody’s, à Baa3. Cinq ans plus tôt, la société affichait encore un rating A2.
Perte du brevet sur Copaxone
Teva subit la concurrence dans son activité générique mais également dans celle dédiée aux médicaments de spécialité. Le Copaxone, utilisé dans la lutte contre la sclérose en plaques et comptant pour un cinquième de revenus voit son brevet suspendu par une décision de justice. Il sera finalement invalidé en octobre 2017 et c'est une très mauvaise nouvelle pour Teva qui comptait sur les revenus de ce médicament pour rembourser l'emprunt contracté lors de l'acquisition d'Actavis.
Le groupe israélien annonce alors la suppression de 25% de ses effectifs, une réduction supplémentaire de ses coûts à hauteur de 3 milliards de dollars en 2 ans et la suspension de son dividende. Elle annonce aussi le départ du CEO qui avait conclu le deal Actavis. 2018 verra la mise en œuvre de ces mesures. L'exercice se clôture dans le rouge, avec une perte de 2,4 milliards de dollars à comparer à 16,5 milliards l'année précédente. Selon le management, les facteurs qui pesaient sur l’entreprise restent présents mais la société dispose de deux nouveaux relais de croissance : l'Ajovy, un traitement préventif de la migraine chez les adultes et l’Austedo, un traitement utilisé par les patients souffrant de la maladie de Huntington.
Début 2019, Kare Schultz, le nouveau patron de la société basée à Jérusalem, dresse le bilan de l’exercice 2018 écoulé. Selon lui, " les objectifs financiers clés ont été atteints. La réduction des coûts à hauteur de 2,2 milliards de dollars, dépasse l’objectif fixé pour 2018 et Teva est en bonne voie pour réaliser une réduction supplémentaire de 3 milliards de dollars en 2019".
Le laboratoire israélien veut aussi concentrer aussi sur la génération de liquidités afin de réduire sa dette, qui s’établissait à 29 milliards de dollars à fin décembre 2018 contre 32,48 milliards un an avant.
La crise des opioïdes : suite mais pas fin
Si les chiffres du 1er trimestre de 2019 rassurent un peu les investisseurs, cette confiance ne dure pas. La crise des opioïdes n'y est pas étrangère. Actuellement, la capitalisation boursière de Teva avoisine les 10 milliards de dollars, soit près d'un sixième de la valorisation boursière qu'elle atteignait en 2015. Les investisseurs obligataires peu rassurés également poussent les rendements obligataires vers des niveaux très élevés.
Cette crise des opioïdes constitue un problème de santé publique majeur aux États-Unis. Depuis l'an 2000, cette consommation de médicaments prescrits légalement mais aussi utilisés de manière détournée ou achetés sur le marché noir, a causé plus de 300 000 décès par surdose : c'est une crise sanitaire sans précédent. En réponse à cette épidémie, un état d'urgence a été proclamé fin octobre 2017. Comme d'autres sociétés pharmaceutiques avant elle, Teva est mise en cause pour avoir mené une politique marketing inadaptée et une commercialisation inappropriée d’opioïdes.
Dans ce contexte, Teva vient de solder un litige qui l’opposait à l’Etat de l’Oklahoma en s'acquittant d'un montant unique de 85 milliards de dollars. Les fonds serviront à soigner les victimes et à stopper les effets de la crise, laquelle a débouché sur 48.000 overdoses mortelles à travers les Etats-Unis en 2017, dont 17.000 impliquant la consommation d’opiacés sous prescription médicale. Mais le laboratoire israélien n’est pas tiré d’affaire pour autant.
Car il va devoir gérer des plaintes similaires dans plusieurs autres Etats américains, dont l’Ohio où la plupart des litiges sont consolidés en un seul procès prévu en octobre prochain. Depuis mai 2014, environ 1.500 plaintes auraient été déposées à l’encontre de Teva et de ses filiales. Elles porteraient principalement sur un marketing inadapté et une commercialisation inappropriée d’opioïdes. Teva est le deuxième groupe après Purdue Pharma à accepter de verser de l’argent pour mettre fin aux poursuites en Oklahoma. Et le procès d’un troisième groupe pharmaceutique, Johnson et Johnson, doit démarrer sous peu.
Dans ce contexte, l'impact financier potentiel pour un groupe déjà très affaibli risque d'être élevé. Par ailleurs la société est aussi soupçonnée d’entente présumée sur les prix des médicaments avec d’autres laboratoires…autant de pressions qui pèsent sur son avenir.