Publié à l'origine sur la Bourse au quotidien.fr
Il y a eu beaucoup de buzz mercredi 11 octobre à propos de la publication des Minutes de la Fed (le procès-verbal de la réunion du FOMC) des 19 et 20 septembre. La réaction immédiate a été que ces Minutes confirment une hausse des taux en décembre. Le Wall Street Journal l’a résumé avec cette une : « La Fed est sur la bonne voie pour relever les taux malgré une faible inflation ». Je suis un grand admirateur et fidèle lecteur du Wall Street Journal (WSJ) depuis plus de 40 ans. Mais, même si l’on ne peut pas appeler cet article une fausse news, il est terriblement hors sujet et interprète mal ce que la Fed a réellement dit.
Mes lecteurs savent que j’anticipe que la Fed ne relèvera pas ses taux en décembre ; je l’ai dit depuis l’été dernier. Immédiatement après la parution de ces Minutes et la publication de la une du WSJ, un bon ami à moi m’a envoyé un courriel pour me demander s’il y avait un changement dans mes prévisions. Ma réponse était clairement « non ». Pourquoi est-ce que je m’en tiens à mes prévisions : pas de hausse des taux en décembre ?
▶ La « patience » est de retour
La première raison est que les Minutes de la Fed elles-mêmes sont remplies de mentions sur la nécessité d’un rythme lent de hausses de taux. Le FOMC est clairement divisé sur la question de savoir si l’inflation est en vue ou pas. Le fait de mettre l’accent sur les commentaires qui penchent pour une autre hausse de taux cette année, tout en minimisant les commentaires qui expriment des préoccupations au sujet d’une hausse trop précoce est un exemple de ce que les psychologues comportementaux appellent « le biais de confirmation ». Un observateur objectif aurait dû avoir une vision plus équilibrée.
Il y a bien davantage à en dire à ce sujet lorsqu’on décortique le compte-rendu !
Enfoui dans ce dernier procès-verbal, l’un des mots les plus puissants que la Fed a utilisé ces 10 dernières années a fait sa réapparition : notre vieil ami « patience » est de retour. Voici l’extrait en question : « Néanmoins, de nombreux participants se sont dits préoccupés par le fait que les faibles taux d’inflation enregistrés cette année pourraient ne pas seulement refléter des facteurs transitoires, mais aussi des évolutions qui pourraient s’avérer plus persistantes, et il a été noté qu’une certaine patience à propos de la réduction d’une politique accommodante s’imposait, tout en évaluant les tendances réelles de l’inflation. »
Vous vous souvenez de la « patience » ? C’est le mot-clé que la Fed a utilisé dans ses forward guidances entre le début du Taper en décembre 2013 et la fin des forward guidances en mars 2015. La Fed utilise ce message pour donner aux marchés l’assurance qu’elle n’augmentera pas les taux sans un avertissement clair au préalable. Lorsque la Fed a retiré le mot « patience » de ses déclarations du FOMC en mars 2015, c’était le signal que les hausses de taux étaient de retour sur la table pour la première fois depuis neuf ans.
Le véritable lancement des hausses de taux (le liftoff) n’a eu lieu qu’en décembre 2015, mais toute la période de mars à décembre 2015 était une période d’anticipation anxieuse pour les marchés. Ceci parce que l’élimination du mot « patience » signifiait que la Fed pouvait agir à tout moment, et les marchés avaient été avertis. Avec la « patience » retrouvée dans le vocabulaire de la Fed, nous avons un signal clair que la Fed a l’intention de retarder sa prochaine hausse de taux. Mais attendez, il y a mieux !
▶ Toujours pas d’inflation
La principale raison pour laquelle il ne faut pas tenir compte des procès-verbaux du FOMC est qu’il s’agit d’informations anciennes. Ce procès-verbal fait état par exemple de ce qui a été discuté les 19 et 20 septembre. Il dit que la Fed surveillera attentivement l’inflation et l’emploi (le « double mandat ») pour trouver des indices sur ce qu’il faut faire ensuite. Quelques jours plus tard, lors de sa publication du 29 septembre, le taux d’inflation que la Fed utilise a de nouveau marqué une baisse : de 1,4% en juillet à 1,3% en août. C’est le neuvième mois consécutif où l’inflation s’ancre sous l’objectif de 2%. Et donc une mauvaise nouvelle pour les faucons (hawks) de la Fed.
Puis, le 6 octobre, le rapport sur l’emploi de septembre a révélé que l’économie américaine avait perdu 33 000 emplois, soit la première perte d’emplois en sept ans. Bien sûr, c’était lié aux ouragans, mais comme on dit dans le milieu sportif… une défaite est une défaite. Encore une mauvaise nouvelle pour les faucons. Mais… il y a encore mieux ! Les élites mondiales savent comment menacer Janet Yellen quand elles n’aiment pas le chemin qu’elle emprunte.
▶ Les élites commencent à menacer
L’exemple le plus éloquent est celui de septembre 2015, où l’on s’attendait à ce que la Fed fasse sa première remontée de taux. Or, le marché boursier s’était effondré de plus de 10% entre le 10 août et le 7 septembre à la suite du choc de la dévaluation chinoise, et les élites craignaient que Yellen ne fasse pas attention à la possible contagion internationale et n’augmente les taux de toute façon. De ce fait, les super-élites Larry Summers et Christine Lagarde ont averti Yellen en public, ce qui revient à dire : « Ne pense même pas à augmenter les taux »… La gouverneur de la Fed, Lael Brainard, a dit la même chose à Yellen en termes plus polis, et en privé.
Yellen a reçu le message et a attendu décembre 2015 pour le liftoff. L’inaction de septembre par rapport à l’anticipation d’une hausse des taux était une forme d’assouplissement qui a permis de soutenir les marchés boursiers et d’éviter une contagion potentiellement bien pire. La même chose se produit maintenant. La Fed a signalé qu’elle pourrait augmenter ses taux en décembre. Une fois de plus, l’économie est faible, le yuan est sur le chemin de la dévaluation et une hausse des taux pourrait être considérée comme une erreur lourde. Les élites se battent déjà contre Yellen. Le 10 octobre, la super-élite Martin Wolf a averti Yellen de ne pas augmenter les taux dans une tribune du Financial Times. Le 11 octobre, une autre super-élite, Larry Fink de BlackRock, l’un des plus grands gérants d’actifs au monde, a déclaré que la seule chose qui l’inquiétait était une « erreur » de la Fed. Il ne faisait aucun doute que « l’erreur » en question était une hausse des taux. Fink avertissait ainsi Yellen de ne pas le faire.
Ce n’est pas une coïncidence si Wolf et Fink s’expriment au même moment sur le même sujet. C’est un avertissement coordonné. C’est comme ça que les élites fonctionnent. Alors voilà, vous savez tout. Un mauvais chiffre d’inflation, un mauvais rapport sur l’emploi et les avertissements des super-élites s’additionnent tous pour que les taux ne soient pas augmentés en décembre. Même la Fed est d’accord. C’est pourquoi notre vieil ami « patience » a fait son retour. Cela dit, vous n’avez pas à me croire sur parole. Mercredi dernier, la probabilité implicite d’une hausse des taux en décembre mesurée par les contrats à terme sur les obligations de la Fed est passée d’environ 80% à 70% en quelques minutes, à mesure que le ton dovish des minutes de la Fed se précisait. (Désolé, le Wall Street Journal). Les partisans d’une hausse des taux voient leurs anticipations remises en question. Attendez-vous à ce que cette probabilité descende en dessous de 50% et atteigne 10% ou moins d’ici la réunion de décembre. Il n’est pas trop tard pour profiter de ce revirement du marché. Achetez des euros, de l’or, des bons du Trésor et profitez du voyage.
Jim Rickards