Cela fait maintenant 35 séances (7 semaines pleines) que les indices US sont prisonniers d’une camisole algorithmique qui leur interdit d’afficher des variations intraday supérieures à 1% (nous avons déjà consacré nos deux analyses de la semaine dernière au sujet, dont la dernière est à lire ici).
Cela fait bien trois semaines que cette absence d’initiatives est justifiée par la peur que le discours de la Fed devienne un peu plus hawkish…
La conjoncture interne aux Etats-Unis est donc loin d’être idéale et la Fed doit tenir compte de la conjoncture internationale, avec des pressions déflationnistes qui se renforcent au Japon (CPI à -0,4% en juillet en rythme annuel, aucune chance de voir les prix repasser positifs d’ici fin 2016), et une chute de la demande en provenance des émergents (Brésil, Russie, Mexique, Turquie, pays producteurs de pétrole, etc.).
Or une nouvelle hausse de taux renforcerait le billet vert et compliquerait encore la situation dans les nombreux pays émergents endettés en Dollar.
Good cop et Bad cop
Janet yellen a donc beau chanter sur tous les tons que les conditions d’une hausse de taux sont de plus en plus concordantes, les marchés n’y croient pas une seconde : les T-Bonds US ont fini cette journée « si cruciale » du 26 août sur un score parfaitement nul et vierge, à 1,58%… La semaine devait s’avérer décisive, impulser un nouveau souffle aux marchés après 6 semaines de stagnation… Eh bien, raté.
La patronne de la Fed nous a débité le couplet incontournable de « la probable remontée de l’inflation ces prochaines années ». Cela fait juste 7 ans que chaque communiqué de la Fed anticipe ce retour de l’inflation qui ne se manifeste jamais.
Son discours fut donc aussi insipide et inintéressant que possible, et c’est précisément ce que les marchés espéraient ! Un discours « goldilocks » où l’économie US va mieux sans pour autant constituer la garantie que l’embellie entraperçue sera durable, et une Fed qui s’en tient aux statistiques économiques.
Nous pourrions donc nous arrêter là au sujet de Jackson Hole – et nous aurions même pu vous épargner quelques paragraphes – mais la suite immédiate des événements ne manque pas de sel et jette un éclairage aussi original qu’inattendu sur la journée de vendredi.
Janet Yellen devait prendre la parole en dernier, délivrer le coeur du message (à supposer qu’il y en ait un) et présenter la synthèse des délibérations de la Fed. Quand le boss s’est exprimé, la réunion est terminée, personne ne reprend la parole comme le veut la tradition, les journalistes remballent leur matériel : clap de fin.
Mais à peine Janet Yellen avait-elle fini de s’exprimer vendredi que son bras droit, Stanley Fischer (considéré comme le n°2 de la Fed et potentiel futur n°1) s’est présenté devant les caméras avant que les journalistes ne les débranchent pour tenter de clarifier le discours qui venait d’être prononcé. Et le voilà d’affirmer que tout ce qui venait d’être exprimé était « compatible avec une hausse de taux dès septembre ! »… Ce qui a eu pour conséquence de faire repasser les indices US dans le rouge !
C’est bien la première fois où l’on assiste à une rectification du tir 90 minutes seulement après que le (la) patron(e) de la Fed ait fini de lire son discours.
Je n’ai pas le souvenir que cela soit arrivé une seule fois en 36 ans après un speach de Paul Volcker, d’Alan Greenspan ou plus récemment de Ben Bernanke, et encore moins en conclusion d’un symposium de Jackson Hole.
Ce n’est pas de la faute de Janet – elle a lu ce qui avait été rédigé avec l’accord de tous ses collègues. C’est de la faute des marchés qui continuent de croire que les taux ne monteront pas avant décembre… et encore : à condition qu’une nouvelle tuile (l’élection surprise de Donald Trump est en tête des catastrophes redoutées) ne tombe pas sur l’économie mondiale.
Je résume un tel scénario par une simple formule : la Fed n’a plus la main, cela commence à se voir et c’est une nouvelle escalade du processus de perte de crédibilité.
Alors certes, la Fed et les autres banques centrales (BCE et BoJ) administrent encore les cours des actifs à la soviétique, mais le premier qui osera crier « le roi est nu ! » pourrait déclencher un raz de marée que les banques centrales ne parviendraient à différer qu’à coup de camisole algorithmique… Mais la prise de parole de Richard Fischer pourrait signifier que les coutures commencent à lâcher !