Le président Barack Obama en a fait le coeur de sa politique économique mais les prétendants à sa succession ne veulent pas en entendre parler: le libre-échange a spectaculairement perdu la cote aux Etats-Unis.
Dans le pays chantre de la mondialisation, l'abolition des barrières commerciales compte ainsi de farouches détracteurs parmi les candidats à l'investiture présidentielle, chez les démocrates mais aussi, de manière plus surprenante, côté républicain.
Poussée sur sa gauche par son rival Bernie Sanders, Hillary Clinton a ainsi affirmé que les accords de libre-échange avaient "l'air souvent fantastiques sur le papier" mais que leurs résultats n'étaient pas toujours "à la hauteur".
Après avoir tergiversé, la favorite des primaires démocrates a même formellement déclaré son opposition au traité de libre-échange récemment signé par les Etats-Unis et 11 pays de la région Asie-Pacifique (TPP). "Je ne crois pas qu'il remplisse les critères élevés que j'avais fixés", a-t-elle tranché.
Bernie Sanders va plus loin. Ces accords sont un "désastre pour les travailleurs américains" et contribuent à un "nivellement par le bas" favorable aux grandes entreprises, affirme le sénateur socialiste qui vient de remporter l'Etat du Michigan (nord), durement touché par la désindustrialisation.
De l'autre côté de l'échiquier, le ton est à peine différent. Donald Trump, qui fait la course en tête chez les républicains, martèle que les accords commerciaux actuels "n'apportent rien de bon" et promet des mesures protectionnistes contre la Chine ou le Mexique.
Son principal rival, Ted Cruz, est plus bien modéré mais il a toutefois refusé en 2015 de voter en faveur d'une procédure d'accélération des négociations commerciales.
- Inquiétudes -
Cette rhétorique et l'écho qu'elle rencontre commencent à "inquiéter" les milieux d'affaires, très attachés au libre-échange, reconnaît-on chez le puissant lobby patronal de l'US Chamber of Commerce. "Les remèdes proposés sont pires que la maladie", assure à l'AFP un de ses vice-présidents, John Murphy.
Ce nouveau ton tranche également avec les récentes décennies pendant lesquelles les Etats-Unis ont défendu l'ouverture des frontières commerciales et l'accélération des échanges, faisant fi des alternances politiques.
Le démocrate Bill Clinton a ainsi paraphé en 1994 le traité de libre-échange Nafta avec le Mexique et le Canada tandis que son successeur à la Maison Blanche George W. Bush a multiplié les accords commerciaux.
Barack Obama a prolongé cet héritage en s'engageant dans deux vastes accords régionaux: le TPP et son équivalent européen, le TTIP. "Un commerce juste et libre est porteur de millions d'emplois américains bien payés", assurait-il en 2013.
Trois ans plus tard, les électeurs américains en semblent de moins en moins persuadés.
"Nous voyons les conséquences de ces politiques commerciales qui ne sont jamais attachées à aider les Américains à s'adapter à la montée en puissance de la concurrence économique mondiale", affirme à l'AFP Edward Alden, expert au Council on Foreign Relations.
C'est dans l'industrie manufacturière américaine que le libre-échange est accusé d'avoir causé le plus de dégâts. Depuis 1994, le nombre de salariés du secteur, souvent des emplois peu qualifiés, a fondu de près de 30%.
"Il y a beaucoup de gens qui n'ont pas profité de la mondialisation et qui montrent dans cette élection à quel point ils sont en colère", poursuit M. Alden.
L'opacité des négociations commerciales contribue également à alimenter la méfiance.
"L'époque où (...) on sortait avec un accord et que les gens disaient +ok, ça me va+" est révolue. Les gens veulent être impliqués, ils veulent de la transparence", a admis mercredi la commissaire européenne au Commerce Cecilia Malmström, de passage à Washington.
Si ce changement de cap se confirmait, les Européens, déjà confrontés au scepticisme de leur population, et les Etats signataires du TPP auront en principe fort à faire avec le prochain pensionnaire de la Maison Blanche.
Mais les discours de campagne ne survivent pas toujours à la realpolitik. "On est habitué", assure M. Murphy, citant l'exemple du candidat Obama de 2008 alors très critique sur le libre-échange. "Le nouvel occupant du Bureau ovale se rend souvent compte que le commerce est un outil nécessaire pour la prospérité américaine", assure-t-il.