Le nouveau gouvernement turc a pris ses fonctions avec la volonté d'engager des réformes pour faire redécoller l'économie, mais ses bonnes intentions restent soumises au bon-vouloir de l'homme fort du pays, le président Recep Tayyip Erdogan.
La nette victoire du Parti de la justice et du développement (AKP) aux élections législatives anticipées du 1er novembre a mis fin à un cycle d'instabilité politique, avec quatre élections majeures en à peine deux ans.
L'horizon dégagé de toute élection jusqu'en 2019, le Premier ministre islamo-conservateur Ahmet Davutoglu a affiché son intention de procéder "dans les six mois" à des réformes majeures pour mener la Turquie vers "un nouvel horizon".
Améliorer la productivité, réduire la dépendance énergétique et réformer le marché du travail sont les chantiers les plus urgents, selon les experts.
Il faut "accroître le potentiel de croissance de l’économie et réduire la contrainte extérieure et l'exposition aux flux d'investissements étrangers", résume Sylvain Bellefontaine, économiste spécialiste de la Turquie à BNP Paribas (PA:BNPP).
Après les années fastes 2010 et 2011, où elle a dépassé les 8%, l'économie turque a sérieusement ralenti, victime de la crise de la zone euro, des guerres à ses frontières en Irak et en Syrie et de la reprise du conflit kurde.
- Les marchés inquiets -
Son produit intérieur brut (PIB) n'a augmenté que de 2,9% l'an dernier, ses déficits publics restent élevés, tout comme son inflation scotchée au-dessus de 7%. Et la livre turque est perçue comme une des devises les plus fragiles des pays émergents.
S'ils louent le volontarisme de M. Davutoglu, les marchés s'interrogent toutefois sur sa capacité à agir à la tête d'un gouvernement noyauté par les fidèles de M. Erdogan.
Le départ de l'ancien vice-Premier ministre chargé de l'Economie Ali Babacan, présent depuis l'arrivée de l'AKP au pouvoir en 2002 et apprécié du monde des affaires, est "le principal problème du nouveau cabinet", a relevé Gökçe Celik, de la Finansbank.
Pour lui succéder, M. Davutoglu a retenu à sa place une autre figure appréciée du monde des affaires, Mehmet Simsek. Mais sa présence n'a pas suffi à les rassurer.
"Il n'est pas certain que Simsek seul puisse parer aux possibles critiques virulentes à l'encontre de la Banque centrale et rassurer les marchés qui s'inquiètent de l'indépendance de la politique monétaire", a ajouté Mme Celik.
Ces derniers mois, le chef de l'Etat a affolé les marchés en exerçant des pressions répétées sur la Banque centrale pour qu'elle baisse ses taux et protège ainsi la croissance.
Les milieux économiques s'inquiètent aussi de la dégradation de l'Etat de droit en Turquie, encore pointée du doigt par l'Union européenne il y a deux semaines. Au cours du dernier mois, deux conglomérats proches de l'imam Fethullah Gülen, ancien allié devenu le pire ennemi de M. Erdogan, ont été placés sous tutelle judiciaire.
"La stabilité et la fiabilité du système judiciaire sont des conditions essentielles pour garantir la liberté d'entreprendre, les investissements et les partenariats", a prévenu la présidente de la principale organisation patronale (Tusiad), Cansen Basaran-Symes.
- Des objectifs ambitieux -
Dans ce climat, certains doutent que le pouvoir puisse réaliser ses objectifs.
M. Erdogan veut propulser son pays du 18e au 10e rang économique mondial d'ici 2023 grâce à un cocktail de projets d'infrastructures pharaoniques et de relance de la consommation, comme l'augmentation du salaire minimum de 30% dès 2016.
"M. Erdogan et son cercle sont dans l'hubris", estime Murat Ucer, économiste au cabinet Global Source Partners.
La baisse des prix du pétrole a apporté une bouffée d'air frais à Ankara, qui importe l'essentiel de son énergie et souffre d'un important déficit de ses comptes courants. Celui-ci a ainsi chuté l'an dernier de 29% à 45,8 milliards de dollars (43 milliards d'euros).
Mais la situation instable dans le sud-est à majorité kurde et à la frontière syrienne ont eu un impact négatif sur les revenus liés au tourisme (-4,4% au troisième trimestre) et la crise diplomatique entre Ankara et Moscou pourrait affecter des exportations turques déjà mal en point (-8,6% au cours des 10 premiers mois de l'année).
La crise des migrants pèse également sur l'économie. La Turquie accueille officiellement 2,2 millions de réfugiés syriens et a dépensé quelque 7 milliards d'euros.
"L'économie turque est actuellement l'une des plus vulnérables des pays émergents", souligne M. Ucer, "mais elle est aussi résiliente".