Quelques heures après avoir annoncé un nouvel accord commercial avec Washington, Justin Trudeau va s'employer à répondre aux premières critiques et à tenter de convaincre producteurs de lait et électeurs québécois, appelés aux urnes lundi, qu'il a décroché un "bon accord pour le Canada".
Après un dernier week-end de pourparlers intenses entre négociateurs canadiens et américains, Ottawa et Washington ont finalement annoncé dimanche soir un accord in extremis, 30 petites minutes avant la date-butoir imposée par l'administration Trump. "C'est une belle journée pour le Canada", a simplement commenté un Premier ministre tout sourire, renvoyant à lundi l'explication du texte.
Les détails de l'"Accord Etats-Unis-Mexique-Canada (AEUMC), qui remplace le traité de libre-échange nord-américain Aléna honni par Donald Trump, ont été publiés dimanche soir.
Comme le redoutait le secteur laitier, Ottawa a accepté d'assouplir son système de protection des éleveurs et producteurs de lait, en ouvrant plus de 3% de son marché aux producteurs américains. Le gouvernement fédéral "va payer les producteurs laitiers canadiens pour toutes les pertes liées", a souligné un haut responsable canadien.
En échange, Washington accepte notamment de maintenir le système d'arbitrage des litiges commerciaux, l'une des principales pierres d'achoppement de ces 13 mois de renégociations de l'Aléna.
Insuffisant, ont immédiatement répondu les producteurs de lait.
"Notre gouvernement nous avait pourtant assuré qu'il ne signerait pas un accord qui serait mauvais pour les Canadiennes et Canadiens. Or, nous ne voyons pas comment cet accord peut être bon pour les 220.000 familles canadiennes qui dépendent de l'industrie laitière pour gagner leur vie", a souligné Pierre Lampron, président de l'Association représentant les producteurs canadiens, dans un communiqué.
Les producteurs "ne sont rien de plus qu'une monnaie d'échange pour satisfaire le président Trump", a-t-il déploré.
- Trudeau a sauvé les meubles -
De son côté, le président d'Unifor, premier syndicat du secteur privé au Canada, bien implanté dans le secteur automobile, a fait écho au Premier ministre en saluant "une très belle journée pour les Canadiens".
"Je suis vraiment très heureux que nous ayons pu mettre en place un format qui va conduire à des investissements au Canada, des investissements suivis, mais de façon tout aussi importante, qui va nous débarrasser de cette terrible menace de tarifs de 25% que l'administration de Donald Trump menaçait de nous imposer" faute d'un accord, s'est réjoui Jerry Dias.
Pour Justin Trudeau, la date-butoir du 30 septembre imposée par Donald Trump tombait mal: le Premier ministre se retrouve obligé de défendre son accord le jour-même où les électeurs du Québec sont appelés aux urnes. Ils doivent renouveler leurs députés provinciaux et leur gouvernement.
Or cette province francophone assure à elle seule la moitié de la production de lait au Canada. Et les principaux candidats à l'élection québécoise -y compris le Premier ministre Couillard, de la même famille politique que M. Trudeau - ont tous promis de soutenir leurs producteurs laitiers.
"Le pire est arrivé", a immédiatement réagi le candidat du Parti Québécois (opposition), Jean-François Lisée. "Ca fait des semaines sinon des mois que je vous dis que la monnaie d'échange du Canada lorsqu'il veut obtenir quelque chose pour le reste du pays, c'est le Québec, l'agriculture québécoise et spécifiquement nos fermes laitières"
Cette coïncidence du calendrier peut-elle influencer le vote ?
"Je ne pense pas", estime pour l'AFP Louis Bélanger, directeur de l'institut des hautes études internationales à l'université Laval à Québec. "Il y a très peu de gens qui vont voter sur cet enjeu là".
Selon lui, Justin Trudeau ne devrait pas non plus pâtir à long terme de cet accord, qui lui a permis de "sauver les meubles" à un an des élections législatives fédérales.
"Comme il n'a pas cédé sur les grandes questions et que par ailleurs il semble avoir eu une stratégie de négociation qui a fonctionné, je ne crois pas qu'il va payer un prix pour tout cela", analyse M. Bélanger. "Dans la perspective de l'électorat canadien, la situation actuelle est causée par l'administration américaine et je pense que Justin Trudeau va être reconnu pour avoir sauvé les meubles et je ne vois comment il pourrait pâtir de cet accord-là".