La "main invisible" mais aussi le "poêle à charbon", le "concours de beauté" ou le "surfeur de Malibu": la théorie économique est friande de métaphores pour expliquer les mécanismes -- réels ou supposés -- à l'oeuvre sur le marché de l'offre et de la demande.
Entre clins d'oeil littéraires et images saugrenues, voici quelques paraboles restées célèbres, en raison, selon Xavier Ragot, professeur à l'Ecole d'économie de Paris, de leurs "vertus pédagogiques", qui leur permettent de "rendre intelligible une matière complexe".
LA "MAIN INVISIBLE"
C'est sans conteste la plus connue des métaphores économiques. La "main invisible", théorisée par le père de la science économique Adam Smith (1723-1790), fait référence à un mécanisme spontané censé réguler le marché dans l'intérêt de tous. "L'idée, c'est qu'en recherchant son propre intérêt, on permet une allocation optimale des richesses", explique à l'AFP Xavier Ragot. Un concept fondateur pour la pensée libérale, mais critiqué à gauche: "Si la main invisible semble invisible, c'est qu'elle n'est souvent pas là", estime ainsi le prix Nobel d'économie Joseph Stiglitz.
LE "CONCOURS DE BEAUTE"
Théorisée par le Britannique John Maynard Keynes (1883-1946), l'allégorie du concours de beauté illustre le fonctionnement du marché boursier, où les investisseurs, pour anticiper le futur prix d'une action, doivent deviner ce que les autres en pensent... avant de tenter d'en estimer la valeur intrinsèque. Selon Keynes, ce mécanisme est semblable à celui d'un concours où il serait demandé aux joueurs d'élire les plus belles femmes au sein d'un groupe donné: pour gagner, il ne faut pas choisir celles qu'on préfère, mais celles qui ont le plus de chances de faire consensus.
LE "CHEVAL A BASCULE"
Cette métaphore est employée pour désigner une position du kama sutra... mais aussi (c'est moins connu) les conséquences des "chocs exogènes", notamment politiques, sur l'économie. Selon le prix Nobel Ragnar Frisch (1895-1973), qui l'a mise au point, le système économique réagit comme un cheval à bascule que l'on frapperait avec un bâton. A savoir: avec des cycles fluctuants, dont l'amplitude dépend de l'importance de l'impulsion.
LE "POELE A CHARBON"
Imaginée par le Français Albert Aftalion (1874-1956), cette allégorie est utilisée pour décrire le décalage entre les cycles économiques et les investissements. L'économie, selon Aftalion, fonctionne comme une pièce chauffée au charbon: quand il fait froid, on garnit excessivement le poêle; cela finit par entraîner une surchauffe, qui pousse à ne plus ajouter de charbon du tout... avec pour conséquence un retour à une température excessivement basse.
LE "PASSAGER CLANDESTIN"
Le "free rider", ou "passager clandestin", désigne selon l'économiste Mancur Olson (1932-1998) celui qui profite d'une situation sans en payer le prix - supporté du coup par les autres usagers. C'est le cas des investisseurs qui attendent que d'autres qu'eux mettent la main au portefeuille pour développer une entreprise. Ou bien des salariés qui refusent de faire grève... mais bénéficient des avantages obtenus par leurs collègues grévistes.
LES "ILES"
Imaginée par Edmund Phelps, prix Nobel d'économie 2006, la parabole des îles illustre les conséquences de l'asymétrie de l'information sur les marchés, notamment celui du travail. Pour Phelps, l'économie est semblable à un archipel: le travailleur doit passer du temps sur les îles voisines pour voir si le salaire proposé sur son île est correct, ce qui explique la présence du chômage sur des marchés pourtant équilibrés.
"BOUCLE D'OR"
Ni trop chaud ni trop froid, comme le bol de soupe choisi par Boucle d'or dans le conte des frères Grimm: cette métaphore ("goldilocks economy"), à la mode dans les années 1990, désigne la situation idéale dans laquelle doit se trouver l'économie pour prospérer. A savoir: une croissance solide, mais sans surchauffe, pour éviter tout dérapage de l'inflation.
LE "SURFEUR DE MALIBU"
Cette parabole est utilisée par le philosophe John Rawls (1921-2002), théoricien de la justice sociale et de l'"impôt négatif", sorte d'allocation universelle amenée à remplacer les différentes aides accordées aux citoyens. Dans ses réflexions, Rawls se demande s'il est juste qu'une personne utilise ce revenu pour "surfer à Malibu" au lieu de travailler. Avant de conclure que "non": l'allocation doit être conditionnée à une participation au marché du travail.
LE "CYGNE NOIR"
Ce n'est pas parce qu'on ne croise que des cygnes blancs qu'il n'y a pas de cygnes noirs. Cette vérité, confirmée par la découverte tardive de cygnes noirs en Australie, sert de base à une métaphore développée par le philosophe ex-courtier Nassim Nicholas Taleb, prisée des financiers: certains événements, même improbables, peuvent advenir, avec des conséquences économiques d'une portée considérable.