La patronne du Fonds monétaire international (FMI) et ancienne ministre Christine Lagarde saura lundi après-midi si sa mauvaise gestion politique de l'arbitrage Tapie mérite ou non une condamnation pénale pour "négligence" par la Cour de justice de la République.
Les trois magistrats, les six députés et les six sénateurs rendront leur décision à 15H00 (14H00 GMT). Le parquet a requis une relaxe.
L'ancienne ministre de l'Economie, entre 2007 et 2011, risque jusqu'à un an de prison et 15.000 euros d'amende.
Il n'y a pas d'appel possible des décisions de la CJR, seule habilitée à juger des membres d'un gouvernement pour des crimes ou délits commis dans l'exercice de leurs fonctions. Ne reste que le pourvoi en cassation.
La patronne du FMI n'a jamais lié son sort judiciaire et son destin à la tête de l'organisation internationale, dont les statuts ne prévoient pas une démission automatique en cas de condamnation.
Au siège de Washington, on faisait toutefois part d'un "certain optimisme" sur le jugement à venir.
Vendredi, avant que la Cour ne parte délibérer, Christine Lagarde a dit avoir "agi (...)avec pour seul objectif la défense de l'intérêt général", en autorisant en 2007 une procédure arbitrale avec Bernard Tapie pour solder son litige avec l'ancienne banque publique Crédit Lyonnais.
Annulé en 2015 pour fraude au civil, cet arbitrage privé fait l'objet d'une enquête pénale pour "détournement de fonds publics" et "escroquerie", distincte de celle qui a visé l'ancienne ministre.
La directrice générale du FMI, émue, a "remercié" la Cour pour "cinq jours d'audience (qui ont mis) fin à cinq années d'épreuve".
Elle a pourtant été bousculée par la présidente Martine Ract Madoux. "C'est quand même un coup de poing dans l'estomac, ça doit vous faire réagir !" a lancé la pugnace magistrate, en s'étonnant que la ministre ne tente aucun recours quand trois juges arbitres accordent plus de 400 millions d'euros d'argent public à Bernard Tapie à l'été 2008.
- "décision scandaleuse" -
A l'époque Christine Lagarde conclut, un peu rapidement selon les enquêteurs, que les arguments juridiques pour un recours sont trop minces. "Devant une décision aussi scandaleuse, même si nous n'avions qu'une chance sur mille de gagner", il fallait y aller, a au contraire affirmé mercredi Bruno Bézard, qui dirigeait alors l'Agence des participations de l'Etat.
L'ancien haut fonctionnaire de Bercy, dont les avis hostiles à l'arbitrage n'ont pas été entendus, a fait une cible de choix pour la défense.
Me Patrick Maisonneuve a chargé un technocrate "très droit dans ses bottes", un "Monsieur-qui-sait-tout" qui envoie note sur note, sans jamais franchir les "quelques mètres" qui le séparent du bureau de la ministre afin de l'avertir de vive voix.
Les audiences ont aussi été marquées par une absence: Stéphane Richard, actuel PDG d'Orange et ancien directeur de cabinet de Christine Lagarde à Bercy, a préféré ne pas venir témoigner.
Mis en examen dans l'enquête principale, non-ministérielle, avec entre autres Bernard Tapie, il en avait le droit, pour préserver sa propre défense.
Devant la CJR, Stéphane Richard a été accablé par nombre de témoins, qui en font le premier partisan d'un arbitrage du vieux contentieux entre l'homme d'affaires et le Crédit Lyonnais, mené jusque là devant les tribunaux.
Aux élus, majoritaires au sein de la CJR, qui écoutaient un réquisitoire aux accents de plaidoirie, le procureur général Jean-Claude Marin a affirmé que "prendre une mauvaise décision n'est pas (...) en soi seul un délit". "C'est à la frêle limite entre le politique et le judiciaire que vous aurez à vous déterminer".
Depuis sa création en 1993 la CJR a condamné trois membres de gouvernement, jamais à de la prison ferme. Elle est saisie pour la première fois du délit de "négligence" d'une personne "dépositaire de l'autorité publique", rarement poursuivi en droit commun.
La jurisprudence fait état de condamnations pour des vols de livres dans des bibliothèques publiques, des dégradations sur des véhicules en fourrière, des registres d'état civil perdus... A la CJR de dire si un arbitrage à 403 millions d'euros, validé par une ministre, s'ajoute à la liste.