par Robin Emmott
BRUXELLES/MOSCOU (Reuters) - Les tentatives de Bruxelles pour riposter aux nouvelles sanctions contre la Russie projetées par les Etats-Unis qui pourraient affecter des entreprises européennes risquent de se heurter aux divisions entre Etats membres sur la ligne à adpoter à l'égard de Moscou, estiment représentants de l'UE et analystes.
Un projet de loi approuvé par les dirigeants de la majorité au Sénat et à la Chambre des représentants aux Etats-Unis prévoit d'infliger des amendes aux entreprises aidant la Russie à construire des infrastructures permettant d'exporter de l'énergie.
La Maison blanche a fait savoir dimanche que le président américain Donald Trump était prêt à ratifier le texte s'il était approuvé par le Congrès.
Les entreprises européennes impliquées dans Nord Stream 2, un projet de gazoduc à 9,5 milliards d'euros destiné à transporter du gaz russe à travers la Mer Baltique, seraient sans doute affectées.
L'Union européenne et les Etats-Unis ont imposé des sanctions économiques à la Russie ciblées sur les secteurs financier et de la défense en réponse à l'annexion par Moscou de la Crimée en 2014 et son soutien apporté aux séparatistes ukrainiens.
Plusieurs pays du nord de l'UE ont toutefois été soucieux de garantir les approvisionnements en gaz russe dont ils dépendent.
La Commission européenne examinera ses options mercredi, au lendemain du vote par la Chambre des représentants sur le projet de texte.
Markus Breyer, le directeur de la fédération patronale européenne Business Europe, a appelé Washington à "éviter des actions unilatérales qui affecteront principalement l'Union européenne, ses citoyens et ses entreprises".
Le français Engie (PA:ENGIE), les groupes énergétiques allemands Wintershall et Uniper, la compagnie anglo-néerlandaise Royal Dutch Shell (AS:RDSa) et l'autrichien OMV figurent parmi les entreprises européennes impliquées dans le projet Nord Stream 2.
CONFUSION
Moscou s'inquiète des conséquences de nouvelles sanctions américaines qui pourraient affecter non seulement la Russie mais aussi des pays tiers, a déclaré Dmitry Peskov, le porte-parole du Kremlin, lors d'une téléconférence avec des journalistes lundi.
Cette perspective a fait reculer le rouble lundi contre le dollar et contre l'euro, la devise russe tombant à plus bas de huit mois contre la monnaie européenne.
"Nous travaillons avec nos partenaires européens à la réalisation de plusieurs projets de grande envergure", a dit Peskov en réponse aux questions sur les possibles effets des nouvelles sanctions américaines sur des projets comme Nord Stream 2.
"Il va sans dire que nous attachons une très grande importance, comme nos partenaires européens, à la finalisation de ces projets et nous travaillerons dans ce sens", a-t-il poursuivi.
La capacité de riposte de l'UE à d'éventuelles nouvelles sanctions américaines est toutefois limitée car elle ne dispose que de très peu de moyens d'actions qui n'exigent pas une décision unanime des 28.
Or, d'ex-pays du bloc de l'Est comme la Pologne ou les pays baltes sont peu susceptibles de voter en faveur de mesures de riposte destinées à protéger un projet comme Nord Stream 2 auxquels ils sont opposés car il accroît la dépendance énergétique de l'UE vis-à-vis de la Russie.
La plupart des pays de l'UE considèrent Nord Stream 2 "comme contraire ou à tout le moins pas pleinement conforme aux objectifs européens" de réduction de la dépendance énergétique vis-à-vis de la Russie, a dit un haut fonctionnaire de l'UE.
Londres, l'un des plus proches alliés de Washington, est aussi réticente à défier le Congrès américain alors que la Grande-Bretagne se prépare à négocier un nouvel accord commercial avec les Etats-Unis dans le cadre du Brexit.
Ajoutant encore à la confusion de la position européenne, Berlin veut que l'UE ajoute quatre ressortissants et des entreprises russes à sa liste noire en réponse au transfert en Crimée de turbines à gaz fabriquées par Siemens pour la Russie.
Avec la chute des échanges entre l'UE et la Russie, le maintien de l'unité sur les sanctions a déjà été mis à rude épreuve d'intérêts commerciaux concurrents.
La situation a encore empiré avec la perception d'un certain flottement de la diplomatie américaine après l'arrivée de Donald Trump à la maison Blanche, d'autant que les sanctions occidentales peinent à faire sentir leurs effets sur le terrain, la rébellion dans l'Est ukrainien, soutenue par Moscou, maintenant la pression sans relâche.
(avec Dmitry Solovyov, Andrey Ostroukh et Vladimir Abramov à Moscou, Marc Joanny pour le service français, édité par Véronique Tison)