Le limogeage récent de deux grandes patronnes américaines met en lumière les pressions des financiers sur les rares femmes à la tête de multinationales et porte un coup aux efforts pour diversifier les états-majors des entreprises.
Ellen Kullman, Meg Whitman, Mary Barra, Indra Nooyi, Marissa Mayer, Ursula Burns (première femme noire PDG d'une grosse entreprise américaine), Irene Rosenfeld et Sheri McCoy ont en commun de diriger ou d'avoir dirigé de grandes sociétés cotées: DuPont (NYSE:DD), HP, General Motors (NYSE:GM), Pepsi, Yahoo!, Xerox, Mondelez et Avon Products.
Elles ont été ou sont dans la ligne de mire de financiers américains très influents à Wall Street, qui ont déjà réussi à pousser vers la sortie Mmes Kullman, Burns, Rosenfeld et McCoy. Pour rester à leur poste, les autres ont acheté la paix, en capitulant. Meg Whitman a accepté de scinder HP en deux, tandis que Mary Barra chez GM a accepté de verser de gros dividendes aux actionnaires.
Les femmes PDG sont-elles moins performantes que les hommes ou sont-elles simplement considérées comme des cibles faciles pour des investisseurs en quête d'importants retours sur investissements et voulant peser dans la vie et la gouvernance des entreprises ? Ces questions prennent de l'ampleur car elles sont posées au moment où la Silicon Valley est épinglée pour son manque de diversité et accusée de sexisme. Seuls 27 des 500 PDG des entreprises de l'indice boursier S&P 500 sont des femmes, soit 5,4%.
- 'Faibles' -
"De tous les facteurs que nous avons examinés (...) le genre est un élément très important et significatif", explique à l'AFP la chercheuse Christine Shropshire de l'université d'Arizona (sud-ouest). Elle a examiné les demandes des investisseurs dits "activistes", entre 2003 et 2013, aux directions d'entreprises américaines.
"Nous avons pris deux entreprises de taille similaire avec les mêmes performances financières et avons observé que celle qui a nommé une femme PDG a été attaquée de façon disproportionnée après la nomination", souligne-t-elle.
Les financiers perçoivent les femmes patronnes comme "faibles et ayant moins confiance en elles", déclare l'universitaire.
"On ne nous apprend pas à nous battre pour nous-mêmes", a déclaré récemment au New York Times Ellen Kullman.
Une étude de 2013 du cabinet PricewaterhouseCoopers a montré que la probabilité pour que des femmes patronnes soient débarquées après 10 ans de règne était supérieure aux hommes, 38% contre 27%.
Dans la plupart des cas, leur performance n'est pas mise en cause. En Bourse, les actions des entreprises dirigées par des femmes ont affiché des retours sur investissements annuels de 25% depuis 2009 contre 11% à l'indice boursier MSCI World, selon une étude d'août 2017 de la banque scandinave Nordea Bank AB, qui a passé en revue la performance de 11.000 entreprises dans 27 pays développés.
"Son leadership a bénéficié à tous les actionnaires de l'entreprise", a dit après coup le financier américain Nelson Peltz à l'égard d'Irene Rosenfeld, débarquée chez Mondelez, le fabricant des biscuits Lu et des chocolats Côte D'Or.
- 'Rhétorique lassante' -
M. Peltz a souvent été montré du doigt parce qu'il a lancé des campagnes contre Indra Nooyi, Ellen Kullman et Irene Rosenfeld, après être entré au capital de leur entreprise respective via son fonds d'investissement Trian Partners.
"Suggérer que Trian cible les femmes PDG est une rhétorique lassante", répond une porte-parole à l'AFP. "Trian est un investisseur pour qui le genre ne compte pas et qui cherche à investir dans des entreprises cotées de grande qualité affichant de mauvaises performances", ajoute-t-elle, assurant que le fonds est un "défenseur de la diversité à tous les niveaux".
Des 28 campagnes lancées par Trian depuis sa création en 2005, seules trois visent des entreprises dirigées par des femmes, soit 10,7%. Autrement dit plus de 89% ont été engagées contre des patrons hommes, dont celui de General Electric (NYSE:GE) Jeff Immelt, qui a quitté récemment ses fonctions.
"Il y a une perception réelle chez certaines personnes que les PDG femmes sont ciblées de façon disproportionnée", avance Dan Zacchei, de la firme Sloane & Company, qui conseille activistes et entreprises. Et de mettre en garde les financiers contre une réputation de sexistes qui risquerait de les aliéner des médias et des autres investisseurs.
Le milliardaire Daniel Loeb, via son fonds Third Point, avait, lui, imposé en 2012 Marissa Mayer à la tête d'un Yahoo! chancelant, après y avoir fait déloger ... un homme. Mais cinq ans plus tard, elle a quitté ses fonctions victime des manoeuvres de fonds activistes.