par Emmanuel Jarry
PARIS (Reuters) - Le procès d'Abdelkader Merah, frère de Mohammed Merah, auteur des tueries de Toulouse et Montauban en mars 2012, a commencé lundi dans un climat tendu devant une cour d'assises spéciale, en présence de membres des familles des victimes.
Mohammed Merah a été abattu le 22 mars 2012 à Toulouse par la police lors de l'assaut donné à l'appartement où il s'était retranché après avoir tué par balles trois militaires, trois écoliers juifs et le père de deux d'entre eux. Des meurtres de sang-froid qui ont annoncé les attentats de 2015 et 2016.
Est également jugé l'un des compagnons de délinquance de Mohammed Merah, Fettah Malki, 34 ans, accusé de lui avoir fourni un gilet pare-balle, des armes et des munitions.
Pendant ce procès prévu pour durer un mois, la cour s'efforcera notamment d'établir jusqu'à quel point Abdelkader Merah, 35 ans, a été le mauvais génie de son frère cadet et quelle part il a prise dans son équipée sanglante.
Mais ce procès pourrait aussi être indirectement celui des autorités françaises de l'époque. Le père d'un soldat tué, Abel Chennouf, a porté plainte contre l'ex-président Nicolas Sarkozy et l'ex-patron du renseignement intérieur Bernard Squarcini pour mise en danger de la vie d'autrui. Plainte qui a donné lieu à une information judiciaire en cours d'instruction.
"Mohammed et Abdelkader Merah étaient suivis par les services de renseignement. Ils étaient jugés dangereux mais la surveillance a été arrêtée en novembre 2011, quatre mois avant les faits", a expliqué à Reuters l'avocate de la famille Chennouf, Me Béatrice Dubreuil.
Le policier à la retraite est l'un des 49 témoins cités à comparaître. Mais dans un courrier lu à l'audience, il a fait valoir son statut de témoin assisté dans l'autre procédure et dit vouloir réserver ses explications au magistrat instructeur pour ne pas venir au procès d'Abdelkader Merah.
INCIDENT
Le tollé a été unanime, dans les parties civiles et la défense, pour juger son témoignage indispensable et faire valoir que rien ne l'empêchait juridiquement de venir à la barre.
"Il a beaucoup de chose à nous dire", a dit un des avocats d'Abdelkader Merah, le ténor du barreau Eric Dupond-Moretti.
"Squarcini fait le jeu de la défense. Il a dit que Mohammed Merah était un loup solitaire alors que c'était tout sauf un loup solitaire", a pour sa part déclaré à Reuters Me Dubreuil.
Si le président de cette cour de magistrats professionnels a rappelé que les prévenus étaient "présumés innocents" jusqu'à ce que la cour en décide autrement, leur culpabilité ne fait aucun doute aux yeux des 230 parties civiles.
"Je n'attends rien de ce procès", a déclaré à CNEWS Samuel Sandler, père et grand-père de trois victimes de l'école Ozar Hatorah. "La seule chose que j'attends, c'est surtout qu'il ne sorte pas de prison (...), qu'il pourrisse dans un trou."
Assis au premier rang du public dans une salle d'audience bondée, il a crié sa colère à la mère de Mohammed et Abdelkader Merah, Zoulikah Aziri, et à la compagne du second, Yasmina Mesbah, lors de l'appel des témoins : "Grosse m.... ! Tas de m.... !" leur a-t-il lancé quand elles ont quitté la salle, ce qui lui a valu d'être rappelé à l'ordre par un gendarme.
Les deux femmes avaient profité de leur bref passage à la barre pour adresser un signe de connivence et un baiser au prévenu, massif, vêtu de blanc, longue barbe et cheveux en catogan, assis derrière une paroi de verre à côté de Fettah Malki, ex-pizzaïolo, multirédiviste, de nationalité algérienne.
RADICALISATION ANCIENNE
Abdelkader Merah nie toute implication dans l'équipée sanglante de son frère cadet, bien qu'il ait admis avoir participé au vol du scooter dont celui-ci s'est servi.
Eric Dupond-Moretti a pour sa part refusé ces derniers jours de faire des déclarations à la presse.
"Ce n'est pas la peine de m'exprimer maintenant. On est dans le compassionnel, je suis inaudible. Ce que j'ai à dire, je le dirai à l'audience et lors de ma plaidoirie", a-t-il seulement confié à des journalistes pendant une suspension de l'audience.
Abdelkader Merah, franco-algérien, incarcéré depuis mars 2012, actuellement en région parisienne, a passé les trois dernières années à l'isolement.
Jugé pour participation à une association de malfaiteurs en vue de préparer un crime d'atteinte aux personnes et complicité d'assassinats en relation avec une entreprise terroriste, il encourt la réclusion criminelle à perpétuité.
Les enquêteurs ont établi que sa radicalisation était "ancienne et profonde", ancrée dans la mouvance salafiste.
Lors de sa première audition par le juge d'instruction, il a déclaré être "fier" de la façon dont son frère était "mort en combattant" parce que c'était ce qu'enseignait le Coran.
Ce peintre en bâtiment de formation, qui a alterné missions d'intérim et périodes de chômage, a déjà été condamné cinq fois entre 2003 et 2009, notamment pour violences sur sa mère, ses soeurs et son frère aîné, Abdelghani.
Abdelghani, qui a condamné les actes de Mohammed, a décrit aux enquêteurs, dans un livre et des interviews, l'influence qu'ont eue selon lui sur son petit frère Abdelkader et d'autres membres de sa famille, dont sa soeur aînée, Souad.
Souad, mère de quatre enfants, vit aux dernières nouvelles en Algérie, chez son père, chez qui elle s'est réfugiée en 2014 après un voyage avorté en Syrie.
(Edité par Elizabeth Pineau)