Après les récentes déconvenues de son réacteur ultra sophistiqué EPR, la filière française du nucléaire pourrait être tentée de vendre des réacteurs moins avancés et moins coûteux, afin de décrocher de nouveaux marchés, mais cette perspective est loin de faire l'unanimité.
Quelque 65 pays, dont une majorité d'émergents, sont conviés à Paris lundi et mardi dans le cadre d'une conférence sur l'accès au nucléaire civil. En ligne de mire, un marché très prometteur de plusieurs centaines de milliards d'euros.
Cette conférence intervient alors que la filière française du nucléaire (EDF, Areva, GDF Suez...) a subi un revers majeur en décembre en laissant échapper un contrat de 20 milliards de dollars pour la construction de 4 réacteurs aux Emirats Arabes Unis.
Les Emiratis avaient écarté l'EPR pour lui préférer un réacteur coréen, moins puissant, moins avancé technologiquement mais surtout moins coûteux.
Ce camouflet a fait ressurgir des critiques récurrentes sur la stratégie française en matière d'exportation de l'atome civil.
"L'EPR a le défaut du gigantisme", pointe le député (PS) Christian Bataille, auteur de plusieurs rapports sur l'industrie nucléaire.
Avec une puissance de 1.650 mégawatts (MW), ce réacteur est surdimensionné au regard des besoins et de la taille des réseaux électriques de certains pays.
"Pour que la France se développe à l'export, il faut développer une gamme de réacteurs", estime aussi Colette Lewiner, experte chez Capgemini.
Pour répondre à ces critiques, Areva développe des réacteurs de 3e génération plus petits, comme l'Atmea (de 1.100 MW), qui sera commercialisé au printemps 2010.
Cependant, un autre handicap de l'EPR dans la compétition internationale tient à son niveau de sûreté.
Développé au lendemain des accidents de Three Miles Island (USA) et de Tchernobyl, ce réacteur de 3e génération répond à des critères de sûreté élevés, qui sont aujourd'hui devenus la norme minimale dans les pays occidentaux.
Ces normes ont toutefois du mal à s'imposer à l'échelle mondiale.
"En Europe, on ne pourrait pas construire un réacteur coréen tel qu’il a été vendu" à Abou Dhabi, remarque Anne Lauvergeon, présidente d'Areva.
Mais "rien n'interdit à la France d'exporter des réacteurs de 2e génération", plus anciens et moins sûrs, remarque M. Bataille.
L'Hexagone a construit, exporté et exploite encore des dizaines de réacteurs de ce type. En vendre à nouveau ne serait pas "scandaleux" s'il s'avère impossible de mettre en place de "normes de sûreté à l'échelle mondiale", estime M. Bataille.
Exporter un nucléaire au rabais serait cependant un revirement majeur pour la France qui "milite pour que les plus hauts standards s'appliquent en matière de sûreté", selon un haut responsable gouvernemental.
L'idée est d'ailleurs loin de faire l'unanimité.
"Dans le nucléaire on ne peut pas brader la sûreté", estime ainsi Claude Birraux, président (UMP) de l'office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques.
"Un nucléaire +low cost+ et à bas niveau de sûreté est à bannir de toutes les conceptions. Le nucléaire doit garantir la sûreté, c'est une condition absolue", abonde Henri Proglio, PDG d'EDF.
Certains remarquent d'ailleurs que l'outil industriel français, mobilisé par le développement de l'EPR, n'est peut-être plus adapté pour construire des réacteurs moins sophistiqués.
Ce que dément Anne Lauvergeon: "Quand on sait faire un réacteur de 3e génération, il est très facile de faire un 2e génération plus simple, moins cher et moins sûr".