par Tim Hepher
PARIS (Reuters) - Prière de noter la correction de l'orthographe d'Andreas Mateou, ainsi qu'une modification au dernier paragraphe. Une répétition corrigée suit.
Des conflits entre enquêteurs pénaux et civils risquent de prolonger le mystère de la disparition du vol MH370 de Malaysia Airlines, privant le secteur aérien d'informations clés pour améliorer encore la sécurité à bord des avions.
La prééminence de l'enquête judiciaire française depuis la découverte de débris d'une aile du Boeing (NYSE:BA) 777 de la compagnie malaisienne sur le littoral de l'île de la Réunion compromet la reconstitution de la catastrophe par des spécialistes de l'aviation civile, une pratique qui a permis d'amener le nombre d'accidents d'avions à un niveau historiquement bas.
En mars déjà, les conflits autour du partage des preuves liées au crash dans les Alpes d'un A320 de Germanwings, filiale à bas coûts de Lufthansa (XETRA:LHAG), avaient fait apparaître au grand jour la difficile cohabitation entre enquêtes parallèles.
La découverte par la gendarmerie française d'un flaperon de l'avion de Malaysia Airlines disparu en mars 2014 avec 239 personnes à bord, dont quatre Français, a naturellement orienté l'enquête vers la justice, au détriment de l'aviation civile.
La manière dont la France gérera les deux affaires pourrait servir de référence pendant des années étant donné l'influence du pays sur la sécurité aérienne dans le monde.
Le Bureau d'enquêtes et d'analyses (BEA) pour la sécurité de l'aviation civile est en effet régulièrement appelé sur des enquêtes car il est basé en France, comme Airbus (PARIS:AIR) qui fabrique 42% de la flotte mondiale.
"L'enquête pénale ne devrait pas compromettre le rôle primordial que l'investigation de l'aviation civile joue dans le maintien de la sécurité aérienne", souligne Kevin Hiatt, responsable de la sécurité à l'Association internationale du transport aérien (Iata).
Les enquêteurs du BEA suivent les recommandations de l'Organisation de l'aviation civile internationale (OACI), une agence des Nations unies. Leur seul objectif est de prévenir de futurs accidents en déterminant les causes des catastrophes aériennes.
Le but n'a jamais été de pointer quiconque du doigt, estime Paul-Louis Arslanian, ancien directeur du BEA.
"Pour une raison, qui est que ça ne sert à rien quand il s'agit d'améliorer sa sécurité", explique-t-il. "Mais mieux vaut comprendre pourquoi des erreurs ont été commises et ce qui les a empêchées d'être identifiées."
L'augmentation mécanique de la responsabilité humaine dans les accidents à la suite de l'amélioration de la fiabilité des équipements pousse le secteur aérien à évoluer, dans un contexte de judiciarisation accrue du monde des entreprises et de pression des réseaux sociaux à la suite d'une catastrophe aérienne.
"Selon le lieu de l'accident, l'enquête peut être à la merci des autorités judiciaires", résume le professeur Graham Braithwaite, responsable du département de transport et de sécurité à l'université britannique de Cranfield.
"La crainte, c'est que les gens auront de moins en moins confiance dans les enquêtes de sécurité aérienne si la séparation n'est pas nette", ajoute-t-il.
Les tensions entre la gendarmerie et le BEA, évidentes en 2000 lors du crash d'un Concorde d'Air France près de Paris, ont resurgi lors de la catastrophe de Germanwings au printemps.
Fait sans précédent, l'actuel directeur du BEA, Rémi Jouty, a été convoqué dans les bureaux de la police judiciaire pour s'expliquer sur la rapidité avec laquelle ses services avaient partagé les enregistrements du cockpit qui venaient juste d'être déchiffrés, selon plusieurs sources au fait de cet incident.
Rémi Jouty s'est refusé à tout commentaire sur le sujet, mais a défendu sa gestion des preuves du crash de Germanwings. La gendarmerie a fait savoir qu'elle ne commentait pas les enquêtes en cours.
CONTRÔLE DE LA JUSTICE FRANÇAISE
Dans le cas du MH370, une source judiciaire a souligné que la partie d'aile retrouvée, longue de deux mètres, resterait sous le contrôle étroit de la justice.
Les experts de plusieurs agences internationales ont été autorisés à assister à l'inspection, mais seulement au bout de quelques jours, sous la supervision d'un juge et en dehors des locaux du BEA.
"Cela donne l'impression que le BEA et les autres enquêteurs travaillent pour la justice", constate un autre ancien enquêteur du secteur aérien.
La Malaisie a minimisé l'existence de conflits entre l'enquête judiciaire et sa propre investigation civile, à laquelle le BEA participe.
"Ils travailleront main dans la main. Il n'y a pas de distinction claire entre leur rapport et le nôtre. Tout ce qu'ils découvriront servira à notre enquête ensuite", a déclaré à Reuters le ministre malaisien des Transports Liow Tiong Lai.
Mais il s'agit assurément d'un nouveau revers pour ce pays d'Asie du Sud-Est, qui a retardé le début de son enquête face aux critiques de la Chine, avant de voir la première vraie preuve tomber entre les mains de juges français qui ont affirmé leur prééminence sur les investigations de la sécurité aérienne.
"Bon nombre de professionnels de l'aviation hésitent désormais à faire preuve de transparence avec les enquêteurs techniques de peur de se retrouver devant des tribunaux", souligne Andreas Mateou, un formateur sur Airbus A320, auteur de l'ouvrage "Flying in the Face of Criminalization".
"Le risque, c'est qu'ils se mettent en pilote automatique et ne partagent que le strict minimum d'informations", ajoute-t-il.
Cinq ans après l'adoption par l'Union européenne d'un règlement destiné à préserver un "équilibre" entre enquêtes pénales et civiles, les partisans du système français font valoir que celui-ci permet d'éviter les dissimulations, soutient les familles et bénéficie de moyens plus importants.
(Cyril Altmeyer pour le service français, édité par Dominique Rodriguez)