A l'orée d'une Bretagne en pleine crise de l'agroalimentaire, le bassin d'emplois de Vitré engrange un des taux de chômage les plus bas de l'Hexagone, au point que ses entreprises peinent à recruter.
Aux sorties de l'autoroute Paris-Rennes, les bâtiments industriels flambant neufs se succèdent au milieu du bocage, comme autant de témoins du tissu de PME qui fait le dynamisme du pays de Vitré et de ses 105.000 habitants.
Sous la houlette de l'ancien ministre Pierre Méhaignerie, élu ici depuis 1973, Vitré a attiré des centaines d'entreprises par une politique d'achat de terrains et de construction de bâtiments sur mesure pour les industriels. Certaines sont parties, comme Mitsubishi en 2004 (plus de 1.000 suppressions d'emploi), mais d'autres continuent à arriver, bénéficiant d'une fiscalité attrayante, de terrains bon marché et surtout d'une administration locale toute dévouée aux entreprises.
"On a reçu plus qu'un accueil, on a eu un véritable engouement de la part des élus", témoigne Nicolas Boittin, un des fondateurs de Bretagne Télécom, un centre de stockage de données qui s'est installé sur place l'an dernier avec 35 salariés. M. Boittin explique avoir quitté la banlieue de Rennes "où on nous mettait des bâtons dans les roues pour nous agrandir".
Témoin de la proximité entre l'administration et les entreprises dans ce coin d'Ille-et-Vilaine, c'est Dominique Langlois, président des abattoirs SVA, le plus gros employeur du pays de Vitré (1.200 salariés), qui préside la Maison de l'emploi.
"Le revers du miracle vitréen, c'est qu'on a peu de demandeurs d'emploi", se désole-t-il. "On a du mal à attirer les jeunes vers l'industrie", un secteur qui représente 44% de l'emploi dans le pays de Vitré (13% pour la moyenne nationale).
Avec 6,2% de chômeurs au 2e trimestre (dernier chiffre disponible), Vitré arrive selon l'Insee en cinquième position des 321 zones d'emploi les moins frappées par le chômage en France. Malgré la crise, l'emploi y a encore crû de 2,7% entre 2007 et 2012 et le nombre de chômeurs a commencé à refluer dès cet été après une petite hausse de 0,6% l'an dernier.
Alors que la France compterait 100.000 postes non pourvus, "celui qui ne travaille pas sur Vitré, c'est qu'il a un problème", tranche Benoît Fretin, PDG de B2F, une entreprise chimique qui emploie plus de 200 salariés et cherche à embaucher. "Il y a un talon dur de gens qui ne sont pas employables. Même en les formant, il y a des gens de 45 ou 50 ans qui n'y arrivent pas".
Intérim et CDD
Avec une population relativement jeune et peu qualifiée, les entreprises du coin recrutent largement en intérim et en CDD. "Vitré est un territoire réactif qui joue à plein les variables d'ajustement", observe Anthony Jeuland, qui dirige à la fois la Maison de l'emploi et Pôle emploi, une double casquette unique en France lui permettant de mobiliser 11 structures pour aider les chômeurs (Mission locale pour les jeunes, Chambre de commerce pour les créateurs d'entreprise, etc).
"Traditionnellement, on trouvait du travail très facilement ici. Ce n'était pas la peine de se former", explique-t-il.
Alors que 60% de ses inscrits à Pôle emploi ne dépassent pas le niveau BEP, M. Jeuland mobilise des moyens alternatifs pour convaincre les entreprises d'embaucher des salariés peu qualifiés. Une "méthode de recrutement par simulation" a été mise en oeuvre pour aider Webhelp, un centre d'appels, à embaucher 400 personnes depuis l'été.
"On a dit à Webhelp que s'ils cherchaient à recruter par CV, ils en auraient pour deux ans", rapporte M. Jeuland. Pôle emploi a donc mis en place, sur la base des besoins définis par l'entreprise, une simulation de travail en centre d'appels. La méthode a permis de tester avec succès les candidats, "dont beaucoup de coiffeuses", qui n'auraient eu aucune chance d'être recrutées autrement.
"Avec cette méthode, l'entreprise ne voit jamais les CV", assure M. Jeuland, qui estime que beaucoup de sociétés "se privent de potentiel parce qu'elles exigent de l'expérience".
La Maison de l'emploi prépare aussi des plans de formation avec les entreprises, mais seulement en échange de promesses d'embauches. "On a proposé aux employeurs de former des conducteurs de ligne (responsables d'une ligne de fabrication, ndlr) à condition qu'il y ait 10 embauches. Il y a des chefs d'entreprise qui ont dit 'bingo'", rapporte M. Jeuland.
'Un aspirateur à emplois'
Même Hervé Utard, candidat socialiste à la mairie de Vitré, salue "la communication qui fonctionne bien entre les entreprises et l'administration". Mais il estime que "la recette n'est pas transposable" et que la région profite avant tout de sa proximité avec le réseau autoroutier national et la région parisienne, ce qui n'est pas le cas du Finistère, département le plus touché par la crise agroalimentaire.
Selon M. Utard, Vitré a appliqué "une politique de l'aspirateur à emplois qui consiste à attirer des entreprises d'ailleurs". "Prise globalement, cette concurrence est plutôt destructrice d'emplois", estime-t-il.
Pierre Méhaignerie (UDI), qui compte se représenter à la mairie de Vitré, reconnaît que "tout n'est pas duplicable" dans le modèle vitréen: "Nous avons la chance d'être sur des lignes de communication, ça a quand même aidé que je sois membre du gouvernement", admet-il lors d'un entretien avec l'AFP.
Mais il estime que les élus peuvent facilement s'inspirer de l'expérience consistant à "mettre en place un environnement favorable à l'esprit d'entreprise: taxes non pénalisantes, logements nombreux à prix raisonnables, coût de la vie modéré..."
Attirés par les emplois, notamment dans la viande, "beaucoup d'étrangers viennent à Vitré", observe l'ancien ministre. "On doit faire attention à l'intégration et à ce que ce soit accepté par la population".