Un cheval qui tire une voiture au réservoir à sec, des files interminables devant les stations-service et une population en rogne: malgré la chute des cours mondiaux du pétrole brut, le Pakistan subit étrangement une pénurie d'essence qui embarrasse le pouvoir.
Géant de près de 200 millions d'habitants qui importe la majorité de son pétrole, le Pakistan traverse une crise énergétique sans précédent dans son histoire moderne.
A son retour au pouvoir en mai 2013, le Premier ministre Nawaz Sharif s'était engagé à tout faire pour résoudre au plus vite cette pénurie qui plombe l'économie nationale.
Le "pays des purs" a l'habitude des coupures de courant quotidiennes, qui peuvent atteindre 20 heures par jour dans certains villages pendant l'étouffante saison estivale, et de la faible pression du gaz, une des principales sources de chauffage avec le bois pendant l'hiver, rude dans le nord.
La pénurie s'est aggravée ces derniers mois, forçant le gouvernement à fermer des stations vendant du gaz naturel comprimé (CNG), un carburant bon marché très populaire et utilisé par les taxis, les autobus et les pousse-pousse.
Mais une lueur d'espoir est apparue ces dernières semaines avec la chute de 30% des prix de l'essence à la pompe. Les Pakistanais comptaient ainsi pouvoir à nouveau alimenter leurs voitures et les groupes électrogènes qui leur fournissent un peu d'électricité chez eux pendant les pannes.
Erreur! Malgré la baisse des prix, le Pakistan n'a pas importé assez d'essence, et les stations-service, si elles ne sont pas à sec, peinent à répondre à la demande croissante.
La pénurie a commencé par affecter la semaine dernière la province du Pendjab, la plus peuplée et la plus industrialisée du pays, pour faire tache d'huile lundi dans le Khyber Pakhtunkhwa (nord-oust) et certains quartiers de Karachi (sud), mégapole de 20 millions d'habitants.
"Le Premier ministre a exprimé son mécontentement extrême face aux difficultés éprouvées par la population dues à la pénurie de carburant", ont déclaré tard lundi soir ses services après une réunion d'urgence de sa cellule de crise.
Nawaz Sharif, déjà fragilisé depuis l'été par des mois de contestations populaires menées par les partis d'opposition, a démis de leurs fonctions cinq cadres du ministère du Pétrole et du Régulateur de l'énergie, dont il a dénoncé mardi un "manquement grave" à l'origine de la pénurie. Mais il n'a pas limogé le ministre, Shahid Khaqan Abbasi, comme l'exigent une partie de la presse et de l'opposition.
- Entre "incompétence crasse" et complot -
Certains responsables gouvernementaux accusent les banques d'avoir refusé, selon eux, refusé d'allonger la ligne de crédit de la Pakistan State Oil (PSO, public), forçant le premier fournisseur de carburant du pays à réduire ses importations d'essence au moment même où la demande explosait.
Le ministre du Pétrole a lui benoîtement soutenu que la situation était due à la hausse subite de la demande, sans expliquer pourquoi son administration n'avait pas anticipé un phénomène qui pouvait être attendu au vu de la baisse des prix.
Et son collègue des Finances Ishaq Dar a botté en touche en évoquant, comme le veut la tradition locale, un sombre "complot" contre le gouvernement.
Ce dernier a assuré avoir augmenté les achats de brut et que la crise serait résolue d'ici une semaine, une promesse qui laisse de nombreux automobilistes sceptiques.
"Cela fait trois heures que j'attends", rageait ainsi Iqbal Khan, un chauffeur de taxi d'Islamabad, prisonnier d'une queue qui s'étendait sur des centaines de mètres devant une station-service de la capitale. "Que va-t-on faire lorsqu'il n'y aura plus d'électricité et plus d'essence? Le gouvernement devrait démissionner".
Les chaînes du pays ont même diffusé les images d'une famille de Lahore (est) dont la voiture au réservoir à sec était tractée par un cheval pour se rendre à une station-service, et d'un homme à dos d'âne qui faisait le plein, un pompiste remplissant le jerrican accroché sur le flanc de l'animal.
Dénonçant, "l'incompétence crasse" du gouvernement Sharif, le Parti de la justice (PTI, opposition) de l'ex-gloire du cricket Imran Khan, qui avait mis fin à sa contestation à la mi-décembre dans la foulée de l'attaque talibane contre une école Peshawar, a évoqué mardi une possible reprise des manifestations.