La crise au Japon a mis en évidence la dépendance, totale pour certains composants, de pans entiers de l'industrie européenne vis-à-vis des fournisseurs de l'Archipel, une tendance aggravée par la production en flux tendu qui vise à réduire au minimum les stocks.
"Le séisme met à mal la tendance à l'approvisionnement mondial des industries", estime Michel Freyssenet, directeur de recherche au CNRS et fondateur du réseau Gerpisa, qui travaille sur l'industrie et les salariés de l'automobile. "Les constructeurs sont allés chercher les fournisseurs les plus intéressants pour eux, en termes de prix ou de qualité, à l'autre bout de la planète", ajoute-t-il.
Pour lui, la catastrophe japonaise va donc inciter les entreprises à "intégrer +le risque pays+ au-delà des aspects purement économiques ou politiques, y compris dans des pays ayant des risques naturels ou nucléaires".
Ce qui signifie que les démocraties ne seront plus automatiquement classées parmi les Etats où le risque d'investir est minime.
Le mode de production en flux tendu qui vise à réduire les stocks, et dont Toyota est à l'origine, est un facteur supplémentaire de tension sur la chaîne d'approvisionnement même si, souligne M. Freyssenet, le "juste-à-temps" n'est pas pertinent au-delà de l'échelon national, dès lors, par exemple, que les pièces doivent voyager par bateau.
"Même si les entreprises font tout pour les diminuer, les stocks existent: la preuve, c'est que les usines ne s'arrêtent pas de tourner", nuance-t-il. Le problème se situe davantage au niveau de la dispersion des fournisseurs. Elle trouve son origine dans un partage mondial des tâches qui va, pour certaines pièces, jusqu'à l'ultra-spécialisation.
C'est ainsi que les défaillances de l'équipementier japonais Hitachi, unique fournisseur d'une pièce entrant dans la fabrication des moteurs diesel, ont contraint le constructeur français PSA Peugeot Citroën à faire tourner ses usines au ralenti et mis plusieurs milliers de salariés au chômage technique.
A cette diversification des sources d'approvisionnement, qui a éloigné les fournisseurs des constructeurs, s'est ajoutée une tendance à la concentration parmi les premiers, notamment au Japon, où les équipementiers ont dû se regrouper pour rester compétitifs.
"Un certain nombre d'entreprises, notamment dans le secteur automobile, s'interrogent sur leur capacité à trouver rapidement des fournisseurs d'appoint", a relevé lundi le ministre français de l'Industrie Eric Besson.
Mais "quand, sur certains disques durs, ou les capteurs d'appareils photos numériques, vous avez 100% du marché mondial, là, par définition, la capacité de se fournir ailleurs ne s'improvise pas en trois semaines", a-t-il ajouté.
Le Japon représente ainsi 70% de la production mondiale d'électronique dans au moins 30 secteurs, et jusqu'à 100% dans les disques durs 1,8 pouce.
Pour Pierre Gattaz, président du Groupement des fédérations industrielles, la crise actuelle "révèle la concentration de l'électronique japonaise d'excellence" qui s'est diffusée partout, dans les téléphones portables comme les voitures, "dont 35% du prix est lié à l'électronique".
La crise japonaise est "un observatoire intéressant de notre dépendance vis-à-vis de fournisseurs" étrangers, qu'il faut réduire en développant la filière française d'électronique, a-t-il dit à l'AFP.
Il est trop tôt pour dire si la Chine, qui tente de contester la domination du Japon dans l'électronique en misant sur de faibles coûts de main d'oeuvre, pourrait profiter de la situation.
Tout dépend, selon M. Freyssenet, de l'ampleur des perturbations générées par le séisme: si elles deviennent trop coûteuses, la recherche d'alternatives deviendra un impératif.