par Alastair Macdonald
BRUXELLES (Reuters) - Les dirigeants européens, réunis en urgence jeudi à Bruxelles, vont s'engager sur renforcement du nombre de navires et du budget de la mission de surveillance maritime en Méditerranée pour faire face à l'afflux attendu de migrants et se porter à leur secours en mer.
Mais le sommet extraordinaire, convoqué dans l'émotion du naufrage d'un chalutier dans la nuit de samedi à dimanche au large des côtes libyennes, qui a fait jusqu'à 900 morts, ne devrait guère aller plus loin qu'un exposé d'options envisageables, selon le projet de déclaration que Reuters s'est procuré.
La déclaration finale, attendue aux alentours de 20h00, recense treize propositions réparties en quatre chapitres. Mais seul le premier point -"renforcer notre présence en mer" en "doublant au moins" les moyens financiers de la présence navale de la mission Triton- devrait se traduire rapidement en acte.
Compte tenu de divergences parmi les Vingt-Huit, d'autres points, comme le projet d'attaque des bateaux des réseaux de passeurs installés en Libye ou l'ouverture de "centres de réception" de migrants, sont en revanche au conditionnel.
De sources européennes, on souligne que ces projets se heurtent à des obstacles pratiques, juridiques et politiques loin d'être réglés.
Certains Etats membres avancent ainsi que des "frappes chirurgicales" sur les bateaux à quai utilisés par les trafiquants d'êtres humains et autres moyens visant à "détruire le modèle économique" de ces réseaux, à l'image des opérations contre les pirates en Somalie, ne peuvent être décidés sans un mandat du Conseil de sécurité des Nations unies, où la Russie dispose d'un droit de veto.
Même l'idée d'une répartition plus équitable de l'accueil des réfugiés, qui allégerait le fardeau que portent l'Italie et la Grèce notamment du fait de leur situation géographique, pose problème.
"CES QUESTIONS N'ONT PAS DE SOLUTION"
"Il s'agit d'une manifestation politique", dit un haut diplomate comparant le sommet de jeudi aux initiatives prises par l'UE pour présenter un programme de lutte contre le terrorisme à la suite des attentats de janvier à Paris.
"Le phénomène des migrations n'est pas du tout nouveau, mais un événement dramatique s'est produit et nous devons revoir notre stratégie. Mais même avec la meilleure volonté du monde, ces questions n'ont pas de solution", ajoute-t-il en évoquant par exemple le gouffre qui sépare le nord et le sud de la Méditerranée en termes de pouvoir d'achat et de niveau de vie.
L'attentisme des Européens a suscité une salve de critiques de la part des Nations unies et des organisations de défense des droits de l'homme.
"La réponse de l'Union européenne doit aller au-delà de l'approche minimaliste actuelle (...) qui consiste avant tout à endiguer l'afflux de migrants et de réfugiés", ont estimé l'Onu et l'Organisation internationale pour les migrations (OIM) dans un communiqué commun.
Amnesty International a de son côté fustigé "une réponse terriblement insuffisante et honteuse à la crise des migrants", estimant que les propositions du sommet de Bruxelles "ne permettront pas de mettre un terme à l'hécatombe en Méditerranée".
"Ce qui est nécessaire, c'est un élargissement du périmètre opérationnel et la mise en œuvre par les Etats de moyens de sauvetages maritimes et aériens renforcés", souligne dans un communiqué Jean-François Dubost, responsable du programme Personnes déracinées à Amnesty International France.
Malgré les appels répétés de l'Italie à la solidarité de ses partenaires européens et à une approche plus volontariste, une telle évolution ne semble guère être à l'ordre du jour, les Vingt-Huit ne s'étant entendus que sur un doublement du budget de l'opération Triton.
PAS DE MODIFICATION ATTENDUE DU MANDAT DE TRITON
Cette mission de surveillance des frontières maritimes, gérée par l'agence européenne Frontex, a pris le relais à la fin de l'année dernière de Mare Nostrum, une opération bien plus ambitieuse de sauvetage en mer assurée par la marine italienne et financée sur le seul budget italien.
Mais avec 2,9 millions d'euros par mois et seulement sept bâtiments opérationnels, Triton dispose d'un budget trois fois moindre que Mare Nostrum et n'a pas pour mandat de procéder à des sauvetages en mer. En outre, quand les navires italiens s'aventuraient loin des côtes italiennes, les bâtiments de Triton patrouillent dans une limite de 55 km des côtes européennes, loin des côtes libyennes où se concentrent l'essentiel des naufrages.
A l'instar de Poséidon, une mission similaire au large de la Grèce, Triton devrait obtenir davantage de moyens.
Des divergences sont toujours à l'oeuvre en revanche sur une modification du mandat juridique de Triton. Au point qu'il ne devrait pas être amendé pour indiquer explicitement que ses bâtiments ont la mission de rechercher et secourir des migrants en mer, près des côtes libyennes.
Le projet de déclaration appelle également à un programme de "retour rapide" des migrants dans leur pays si leur demande d'asile est rejetée et au déploiement d'agents de liaison de l'UE pour mener à l'étranger l'examen des demandes d'asile.
La déclaration évoque également un projet-pilote consistant à accueillir 5.000 Syriens, répartis de façon équitable dans l'ensemble des pays membres.
Depuis le début de l'année, l'Onu estime que 35.000 migrants ont tenté de traverser la mer Méditerranée pour fuir la pauvreté, la misère, les violences et les guerres. La plupart sont partis des côtes libyennes.
Après la tragédie du week-end dernier, ils seraient désormais près de 1.800 à avoir péri lors de leur traversée depuis le début de l'année.
Au 21 avril 2014, le bilan était plus de trente fois inférieur, à 56 morts selon l'OIM. Fin 2014, il y avait eu au total 3.400 morts en Méditerranée, le rythme des traversées s'accélérant avec l'arrivée de l'été.
(Avec la rédaction de Bruxelles et Stéphanie Nebehay à Genève; Nicolas Delame, Henri-Pierre André et Tangi Salaün pour le service français)