"But contre la crise" ou "cuillère anti-spread": crise de l'euro et Euro-2012 de football ne cessent de se croiser à l'approche d'un sommet européen crucial à Bruxelles jeudi, jour de la demi-finale du Championnat d'Europe des nations opposant l'Allemagne à l'Italie.
Côté ballon rond, les PIIGS, terme méprisant tiré de "porcs" en anglais qui désigne dans les milieux financiers le Portugal, l'Italie, l'Irlande, la Grèce et l'Espagne, ont fait bonne figure en se qualifiant tous pour l'Euro-2012.
Si l'Irlande a été éliminée dès les phases de poule et la Grèce battue impitoyablement par la "Mannschaft" en quart de finale, les trois autres se retrouvent dans le dernier carré face à l'Allemagne, dont la fermeté sur le dossier de la rigueur budgétaire est fustigée aux abords de la Méditerranée.
"S'il était vrai que le football est la poursuite de la guerre par d'autres moyens, l'occasion se présenterait maintenant de renverser la situation", commentait récemment le rédacteur en chef du journal sportif espagnol AS, Alfredo Relano. "Mais non, s'empressait-il d'ajouter. Ici nous jouons seulement pour la joie d'une nuit d'été, le prestige footballistique de chacun"...
Tout le monde n'est pas du même avis. "Madame Merkel, on arrive!", tonitruait lundi un quotidien gratuit distribué dans le métro milanais au lendemain de la victoire des Azzurri contre l'Angleterre aux tirs-au-but.
Et toute la presse de la péninsule s'est amusée sur "la +rigore+ qu'on aime", puisque dans la langue de Dante "rigore" signifie à la fois "rigueur" et... "penalty".
Dans les journaux, football et politique s'entrechoquent. Même le très sérieux Corriere della Sera énumère pêle-mêle les prochains rendez-vous "cruciaux": sommet de l'Union européenne à Bruxelles, demi-finale Allemagne-Italie qui "transfère sur le terrain de foot le rapport complexe entre Rome et Berlin" et sommet Monti-Merkel la semaine prochaine.
"festival de la métaphore"
Dans le Messaggero, l'économiste italien Lorenzo Bini Smaghi, ex-membre du directoire de la Banque centrale européenne (BCE) à Francfort, vient à la rescousse des analystes tant financiers que sportifs.
L'Italie et l'Allemagne sont "deux façons d'appréhender l'existence et d'affronter la compétition. D'un côté, l'inspiration et la fantaisie. De l'autre la méthode et l'esprit systématique. Et ceci dans le sport, la vie quotidienne, l'économie...", explique-t-il.
Dans un mélange des genres ébouriffant, l'hebdomadaire italien Panorama place face à face deux +super-Mario+ : Draghi, le patron de la BCE, "qui a un plan secret pour sauver nos économies", et Balotelli, l'attaquant de la "Nazionale", qui "n'a pas de plan mais veut gagner quand même".
Un téléscopage qui n'étonne pas l'économiste Angus Deaton, de l'Université américaine de Princeton. "Pendant la Grande dépression des années 1930 par exemple, le cricket a gagné en popularité en Grande-Bretagne et le baseball aux Etats-Unis", rappelle-t-il dans un entretien à l'AFP.
"Je pense que nous pouvons donner de l'enthousiasme aux gens dans un moment difficile", estime le sélectionneur espagnol Vicente Del Bosque dans un entretien au journal Marca. Tout en restant lucide: "Nous ne pouvons pas être la solution" aux problèmes du pays.
M. Smaghi lance le même avertissement. "Jeudi c'est seulement un match", dit-il, en refusant de "surcharger le match de significations", après la rencontre Grèce-Allemagne que certains ont surnommé "le derby du spread" (NDLR: l'écart avec le taux d'intérêt allemand à 10 ans).
Une des multiples expressions qui faisaient s'emporter mardi Francesco Merlo, éditorialiste de la Repubblica, contre ce "festival de la métaphore".
Que la "cuillère" (nom italien donné à la +Panenka+, cette façon de tirer un penalty choisie par le meneur de jeu italien Andrea Pirlo lors de la séance de tirs-au-but contre l'Angleterre) "soit une alternative au spread" ou que l'on parle de "la solidité de la défense" italienne face "aux banques de Francfort", il s'étouffe, fustigeant les "tics footballistiques du crétin cognitif".
Trouble-fête peu sensible à l'euphorie qui s'est emparée des Italiens, il se désole que politique, économie et morale soient désormais "supplantées par les stratégies du sympathique (Cesare) Prandelli", l'entraîneur de la Nazionale. Le foot est devenu "l'utopie du vaincu", tranche-t-il.