BEYROUTH (Reuters) - Le Liban rend hommage vendredi aux personnes mortes il y a trois ans dans l'explosion dévastatrice du port de Beyrouth, alors que les chefs religieux et des organisations de défense des droits de l'Homme dénoncent l'impunité dont profitent les dirigeants politiques.
L'explosion de milliers de tonnes de nitrate d'ammonium, matière hautement explosive, dans le port de Beyrouth le 4 août 2020, a fait au moins 220 morts, des milliers de blessés et détruit des quartiers entiers de la capitale libanaise.
L'accident, largement perçu par la population comme un symbole de la corruption et de la mauvaise gouvernance d'une élite dirigeante, a précipité l'effondrement économique du pays.
Aucune personnalité n'a été amenée à rendre des comptes et l'enquête a été entravée par des mesures juridiques, ce qui a suscité l'indignation au Liban et à l'étranger.
Rita Hitti a perdu son fils de 26 ans, son beau-frère de 34 ans et son neveu de 21 ans, tous pompiers, dans l'explosion.
"Ils étaient dans la fleur de l'âge. Leur vie a été interrompue et nous sommes morts avec eux", a-t-elle dit à Reuters.
De nombreux magasins et restaurants détruits par l'explosion ont été reconstruits, accueillant un flux de touristes et d'expatriés libanais jusque tard la nuit dernière.
Mais vendredi, les rues étaient vides et les entreprises fermées en cette journée de deuil national.
Amnesty International a estimé qu'il était "inacceptable" que "personne n'ait été tenu pour responsable de la tragédie qui s'est déroulée".
"Au lieu de cela, les autorités ont utilisé tous les moyens à leur disposition pour saper et entraver sans vergogne l'enquête afin de se soustraire à l'obligation de rendre des comptes et de perpétuer la culture de l'impunité dans le pays", a déclaré Aya Majzoub, directrice adjointe de l'organisation pour la région.
L'enquête, menée par le juge d'instruction Tarek Bitar, est au point mort depuis fin 2021 en raison d'une série de plaintes déposées à l'encontre du juge par plusieurs personnalités de haut rang suspectées dans cette affaire.
Lors d'un service religieux commémoratif, Bechara Boutros al-Rai, le plus haut dignitaire religieux chrétien du Liban, a soutenu les appels en faveur d'une commission d'enquête internationale et a demandé que l'on cesse de s'immiscer dans l'enquête.
"Ce qui blesse ces familles et nous blesse le plus, c'est l'indifférence des représentants de l'Etat, préoccupés par leurs intérêts et leurs calculs mesquins", a-t-il déclaré.
Dans un communiqué, le ministère français des Affaires étrangères a exprimé vendredi sa solidarité aux familles et proches des victimes.
"Les Libanais attendent que toute la lumière soit faite sur cette explosion. La France souhaite que la justice libanaise puisse reprendre l’enquête ouverte en toute transparence, à l’abri de toute interférence politique", a indiqué le Quai d'Orsay.
L'explosion a eu lieu alors que le Liban était déjà plongé dans une grave crise financière depuis la fin 2019. Depuis, la monnaie locale a perdu 98% de sa valeur et des milliers de familles se sont appauvries.
(Maya Gebeily, version française Laetitia Volga, édité par Blandine Hénault)