"Fermer Avtovaz ? Impossible, ce serait un coup trop dur !" Depuis lundi, Iouri Boïarski est au chômage technique, mais cet ouvrier veut croire que la dernière heure de la gigantesque usine automobile, située sur les bords de la Volga, n'est pas encore venue.
En cette chaude journée d'août, le site, situé à Togliatti (à 1.000 km au sud-est de Moscou), qui d'ordinaire fourmille d'ouvriers prenant et quittant leur service, fait penser à une vaste ville fantôme. Les parkings entourant le complexe industriel, bondés en temps normal, sont déserts.
Car depuis lundi, la production de véhicules a été suspendue, pour un mois, afin de permettre au groupe, premier constructeur de Russie, d'écouler ses stocks de voitures invendues.
Détenu depuis 2008 à 25% par le français Renault, Avtovaz, qui produit les fameuses Lada, voitures emblématiques du pays dont les premiers modèles ont été conçus à l'époque soviétique, tangue en effet sous le poids de la crise économique.
"Un Titanic sur la Volga", titrait ainsi la semaine dernière un article de la version russe de l'hebdomadaire Newsweek.
Sur les cinq premiers mois de l'année 2009, les ventes du groupe, qui emploie directement plus de 100.000 personnes et fait vivre une multitude de sous-traitants, ont plongé de 45%. Et début juillet, sa dette s'élevait à 53 milliards de roubles (1,2 milliard d'euros).
Pour faire face à cette situation, la direction a décidé, une fois que la production serait relancée, de réduire, entre septembre et février, la semaine de travail à 20 heures.
"Les salaires vont être divisés par deux, pour atteindre en moyenne 6.000 roubles" (134 euros), relève Piotr Zolotariov, chef du syndicat indépendant de l'Unité. Avec ça, "une fois payées les charges pour l'habitation, il ne reste plus grand chose pour se nourrir", déplore-t-il.
Pire, le syndicaliste craint des suppressions massives d'emplois. Fin juillet, la direction a toutefois démenti avoir l'intention de supprimer près de 28.000 postes.
Pour Sergueï Diatchkov, sociologue à Togliatti, le groupe souffre de ne pas s'être modernisé depuis l'époque soviétique, et a désormais une seule alternative: procéder à des "licenciements progressifs du personnel en surplus" ou "se mettre en faillite".
L'expert déplore, tout comme la majorité des 700.000 habitants, l'"incapacité des dirigeants" de l'entreprise et dénonce la corruption qui la gangrène. "Il faudrait des spécialistes honnêtes", souffle-t-il.
Aujourd'hui, le gouvernement russe, qui avait annoncé fin mars un plan de soutien à l'industrie automobile et accordé au groupe un prêt de 25 milliards de roubles (560 millions d'euros), voudrait "faire une croix sur Avtovaz", juge encore M. Diatchkov.
"Tout ce qui l'empêche de le faire complètement est qu'il se demande quoi faire de tous" les employés et de tous les sous-traitants s'ils devaient se retrouver sans emploi, note-t-il néanmoins.
Récemment, le gouverneur de la région russe de Samara et ancien président d'Avtovaz, Vladimir Artiakov, a mis en garde contre le risque de tensions sociales.
En attendant, le syndicat de l'Unité a appelé à un rassemblement jeudi à Togliatti pour protester contre les plans de la direction.
Se prélassant au soleil sur les bords de la Volga, Alexandre Mozjanov, 44 ans, sait déjà qu'il n'y participera pas. "Je n'aime pas les meetings", explique cet ajusteur qui travaille depuis 22 ans à Avtovaz.
Et si l'usine fait faillite? "Je chercherai ailleurs", se résigne-t-il. Quitte à devenir éboueur. "Il y a beaucoup d'ordures dans la ville", lance l'ouvrier.