Aux cris de "Assassins", des dizaines de manifestants se sont rassemblés lundi à Madrid sous les fenêtres du parti conservateur au pouvoir en Espagne, dénonçant la vague de milliers d'expulsions de propriétaires endettés qui a tourné au drame avec deux suicides en 15 jours.
"Terrorisme immobilier, non!", "Stop aux expulsions", pouvait-on lire sur les pancartes brandies par les manifestants, pour beaucoup touchés directement, qui tapaient sur des casseroles.
Environ 350.000 propriétaires surendettés ont été expulsés depuis l'éclatement de la bulle immobilière en 2008, qui a précipité la crise en Espagne et fait bondir le taux de chômage à 25%.
"Nous sommes beaucoup de parents dans cette situation, dont les enfants souffrent psychologiquement", témoigne Victoria Rivera, 40 ans.
C'est son fils de 16 ans qui a vu les policiers se déployer sous leurs fenêtres, lorsqu'ils sont venus le 10 septembre saisir l'appartement acheté à crédit en 2005, avec un prêt de 250.000 euros, en banlieue de Madrid.
A l'époque, Victoria et son compagnon avaient une petite entreprise. Ils ont remboursé pendant six ans jusqu'à ce que la crise frappe. Aujourd'hui au chômage, Victoria se bat seule pour ne pas se retrouver à la rue.
Grâce au soutien de militants anti-expulsions ce matin-là, elle a obtenu un répit. Un nouvel ordre d'expulsion est fixé pour mai 2013.
Mais sous la pression sociale, accentuée après le suicide de deux personnes en 15 jours alors que les huissiers étaient sur le point de les expulser, les petits propriétaires risquant comme elle l'expulsion pourraient obtenir un sursis.
Lundi, l'association espagnole des banques (AEB) et celle des Caisses d'épargne (CECA) ont annoncé le gel temporaire des saisies dans les cas les plus graves.
"J'espère que nous pourrons parler lundi de l'arrêt temporaire des expulsions qui touchent les familles les plus vulnérables", avait déclaré vendredi le chef du gouvernement, Mariano Rajoy.
Des responsables de son Parti populaire (PP) devaient rencontrer lundi des représentants de l'opposition socialiste pour tenter de s'entendre sur des mesures d'urgence, qui pourraient inclure un moratoire.
Pas assez pour les militants de la plate-forme PAH, qui aide les personnes menacées d'expulsion et affirme avoir bloqué 463 saisies depuis 2009.
Ces derniers exigent que toutes les expulsions de domiciles principaux soit paralysées, et que la saisie du logement suffise à solder la dette, contrairement à la législation espagnole en vigueur, amplement dénoncée.
Ils sont soutenus par un mouvement de protestation sociale croissant, alimenté par le drame des suicides mais aussi un fort sentiment de défiance envers les banques, dont certaines ont été sauvées par des fonds publics.
Parmi elles, le géant Bankia, qui fait l'objet d'un sauvetage de près de 24 milliards d'euros.
"C'est injuste qu'il faille les aider alors qu'eux refusent de nous aider", dénonce Maria Vivar, retraitée élégante de 70 ans venue manifester car elle risque d'être expulsée pour s'être portée garante du prêt de son fils, aujourd'hui au chômage.
Le malaise s'est même étendu à la police et la justice.
Le principal syndicat de policiers, le SUP, a annoncé dimanche qu'il soutiendrait les agents refusant de participer à des expulsions pour "problèmes de conscience".
Dans un rapport écrit en octobre, plusieurs magistrats espagnols ont eux dénoncé "des procédures juridiques extrêmement agressives" tandis que des juges sont de plus en plus critiques dans les médias.
Saisi par un tribunal de Barcelone, l'avocat général de la Cour de Justice de l'Union européenne, Juliane Kokott, a émis un avis début novembre estimant que la loi régissant les expulsions en Espagne n'offrait pas de protection efficace aux particuliers contre de possibles "clauses abusives" des banques.